Comment éviter l’ineptie économique ?
Comment éviter l’ineptie économique?
Par Jamel BENJEMIA
L’économie est l’un des domaines les plus complexes et les plus importants de notre société. Elle affecte non seulement notre vie quotidienne mais aussi le développement de la planète dans son ensemble. Malheureusement, les erreurs économiques persistent de manière notoire, ce qui signifie que les bévues du passé sont souvent répétées. Il est donc crucial de les analyser pour ne pas les réitérer.
Dans son livre « Ils se sont si souvent trompés », la journaliste du Figaro Anne De Guigné a identifié dix erreurs qui ont marqué l’économie mondiale.
Cet article se concentre sur l’analyse de ces quelques erreurs qui ont jalonné l’histoire économique et sur lesquelles les responsables politiques n’ont pas tiré de leçons pour éviter de les reproduire.
Les exemples d’erreurs économiques contemporains incluent la manipulation des taux d’intérêts, l’endettement abyssal, la surrèglementation, ainsi que les politiques protectionnistes qui peuvent être motivées par la tentation populiste et raciste.
Le blocage des prix
Le blocage des prix, également connu sous le nom de contrôle des prix, est une mesure gouvernementale visant à réglementer les prix des biens et services dans l’économie. Cette politique peut être mise en place dans le but de protéger le pouvoir d’achat des consommateurs contre les hausses de prix excessives ou pour maitriser l’inflation.
Anne De Guigné affirme que l’empereur Dioclétien a été l’un des premiers dirigeants à tenter de mettre en place un blocage des prix à grande échelle.
Il a fixé des prix maximums pour un grand nombre de produits de base, y compris les denrées alimentaires et les textiles.
Cependant, cette politique n’a pas été efficace à long terme. Les prix maximums ont conduit à une pénurie de biens, car les producteurs n’avaient plus de motivation à produire et à vendre leurs produits si les prix étaient réglementés. Les commerçants ont également cherché des moyens de contourner les prix maximums, en fournissant le marché noir.
En fin de compte, le blocage de prix de Dioclétien n’a pas réussi à juguler l’inflation ou à protéger les consommateurs.
Pour le prix Nobel de l’économie, Milton Friedman : « Le blocage des prix, aussi bien intentionné qu’il soit, ne peut pas résoudre les problèmes de l’offre et de la demande. Les prix sont un mécanisme crucial pour communiquer la rareté d’un bien et encourager l’efficacité dans la production et la distribution. Le blocage des prix supprime ce mécanisme et entraîne souvent des pénuries, des files d’attente, des marchés noirs et une allocation inefficace des ressources ».
Le collectivisme
Le collectivisme est un système économique et social qui implique la propriété collective des moyens de production et la planification centralisée de l’économie. Cela implique généralement la suppression de la propriété privée et l’organisation de la production et de la distribution des biens par l’État ou des coopératives.
L’expérience en Russie, sous le régime soviétique, et en Tunisie, sous le super ministre Ben Salah, était basée sur l’idée que la collectivisation et la planification centrale de l’économie pourraient résoudre les problèmes économiques et sociaux. Cependant, ces expériences ont abouti à un échec cuisant, démontrant les limites de l’interventionnisme étatique dans la gestion économique.
Bien que le projet des sociétés coopératives citoyennes de Kaies Saied ait des objectifs louables, sa réussite est peu probable sans un cadre juridique et réglementaire clair, un soutien efficace, une mobilisation citoyenne et une stratégie économique inclusive, cohérente et intégrée.
L’impôt exorbitant
Philippe IV, plus connu sous le nom de Philippe le Bel, a été l’un des rois les plus puissants de France au XIIIème siècle. Il a introduit plusieurs réformes fiscales, y compris l’augmentation de la taxation sur les biens fonciers et l’impôt sur les successions.
L’une des mesures fiscales les plus importantes de Philippe le Bel a été l’instauration de la taille, un impôt direct sur les personnes et les propriétés. Cette taxe était proportionnelle aux revenus des contribuables, ce qui signifie que les riches devaient payer plus que les pauvres. Philippe le Bel a également introduit la gabelle, un impôt sur le sel, et créé de nouveaux impôts pour financer ses guerres.
La maltôte (« male tolta » ou « mal perçu ») était un impôt indirect équivalent à la TVA au taux de 4%, et était prélevée sur toutes les ventes des marchandises effectuées sur le territoire du royaume. Toutefois, comme le dit la maxime de Laffer, « trop d’impôt tue l’impôt ».
Ses politiques fiscales ont suscité la résistance de l’église, notamment la taxation des biens de l’église. En 1302, il a tenté de faire arrêter le pape Boniface VIII, qui s’opposait à sa politique fiscale. Cette confrontation a conduit à une crise majeure dans les relations entre l’église et l’État français.
En somme, la concertation avec la société civile est une condition essentielle pour la réussite d’une réforme fiscale. Cela permet de garantir la pertinence, l’acceptabilité et la faisabilité des mesures fiscales proposées, et d’éviter les conflits inutiles et les tensions sociales.
La faillite
La faillite de l’Espagne au XVIème siècle est liée à plusieurs facteurs économiques, politiques et sociaux. À cette époque, l’Espagne était l’une des principales puissances économiques et politiques d’Europe, grâce à ses colonies en Amérique et son monopole sur le commerce des métaux précieux.
Cependant, la politique économique de l’Espagne était basée sur une exploitation excessive des ressources des colonies, au détriment de leur développement économique endogène.
L’Espagne a été contrainte de déclarer la banqueroute plusieurs fois au XVIème siècle, notamment pour les Habsbourg en 1557,1575, 1596, 1607 et 1627. Ces faillites ont entraîné des conséquences économiques et sociales désastreuses pour l’Espagne avec une perte de confiance des investisseurs et une perte du statut de grande puissance économique et politique.
Mirabeau disait que « la dette publique fut le germe de la liberté. Elle a détruit le roi et l’absolutisme. Prenons garde qu’en continuant à vivre, elle ne détruise la nation et nous reprenne la liberté qu’elle nous a donnée ».
Les 35 heures
La réduction du temps de travail à 35 heures hebdomadaires, instaurée par le gouvernement Jospin en 2000, était une mesure visant à favoriser la création d’emplois et améliorer la qualité de vie des travailleurs. En théorie, cela aurait dû donner aux travailleurs plus de temps libre pour les loisirs et la vie de famille.
Cependant, les résultats de cette politique ont été mitigés. Dans un marché concurrentiel, les 35 heures ont fait augmenter les couts de production, car les entreprises ont dû embaucher plus de personnel pour maintenir la même productivité. Cela a rendu les entreprises françaises moins compétitives.
La réduction du temps de travail a également diminué la flexibilité des entreprises. Les heures supplémentaires sont plus chères et plus difficiles à mettre en place.
De ce fait, les entreprises ont donc moins de souplesse pour s’adapter aux variations de la demande.
Pendant la crise sanitaire liée au COVID19, l’hôpital public français a été confronté à une pression importante avec une augmentation du nombre des patients nécessitant une prise en charge hospitalière. Cela a mis en évidence l’organisation peu efficiente de l’hôpital public avec la détérioration de la qualité des soins due au manque de moyens, et à la saturation des services hospitaliers.
La régulation
Le Sherman Antitrust Act et le Clayton Antitrust Act ont été adoptés aux Etats Unis à la fin du XIXème siècle pour réglementer les pratiques anticoncurrentielles des grandes entreprises. Ces lois ont été conçues pour prévenir les monopoles et protéger la concurrence sur le marché.
Malgré l’existence de ces lois antitrust, les géants de la technologie comme les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), ont continué à acquérir une influence économique croissante au fil des décennies. Cela est dû en partie à la difficulté de définir les monopoles et les pratiques anticoncurrentielles dans les industries de haute technologie.
En 2021, le président Biden a pris des mesures sectorielles pour tenter de réglementer les pratiques anticoncurrentielles des GAFAM., mais elles sont jugées inefficaces à résoudre le pouvoir exorbitant des grands géants de la technologie.
Dans le cas de la Tunisie, la concentration du pouvoir économique entre les mains de quelques familles engendre une distorsion inéluctable de la concurrence libre et loyale. Il est donc important de promouvoir la transparence et la responsabilité et de mettre en place des politiques publiques appropriées pour promouvoir une concurrence saine et juste, afin de favoriser une répartition plus équitable des richesses.
Alors, comment pouvons-nous éviter l’impéritie économique ? Comment pouvons-nous nous assurer que les responsables politiques prennent des décisions éclairées et évitent les erreurs du passé ?
La réponse réside dans une approche holistique qui combine des stratégies multiples. Tout d’abord, l’étude de l’histoire économique est cruciale pour identifier les causes des erreurs passées et pour en tirer des enseignements applicables à l’avenir. Ensuite, l’éducation des citoyens en matière économique peut favoriser une prise de conscience collective et participative en vue de réduire les risques d’erreurs économiques. Par ailleurs, l’amélioration de la gouvernance économique, incluant des politiques économiques bien conçues, une réglementation efficace et une gestion rigoureuse des finances publiques, est également un élément clé pour prévenir l’impéritie économique. Assurer la transparence et la responsabilité dans la prise des décisions dans le sens de l’intérêt général permet de combattre efficacement la corruption. Enfin, la coopération internationale peut contribuer à la prévention des erreurs économiques en favorisant la coordination des politiques économiques et la prévention des crises financières.
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