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Et si la Tunisie optait pour une nouvelle monnaie ?

18 Février 2024 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS Publié dans #Articles

Et si la Tunisie optait pour une nouvelle monnaie ?                                    

                                                                         

    Par Jamel BENJEMIA                               

                
                               

      

 

La Tunisie se trouve à un tournant crucial de son histoire économique. Confrontée à des défis majeurs, elle cherche des solutions internes pour surmonter ses difficultés financières et restaurer la stabilité économique.

Parmi les options recommandées, le changement de monnaie émerge comme une mesure potentiellement salutaire qui pourrait remodeler le paysage financier tunisien.

Pourquoi une nouvelle monnaie s’impose-t-elle ?

Pour répondre à cette question, nous pouvons nous inspirer des expériences passées d’autres nations confrontées à des circonstances similaires. Des pays comme la France avec le « Franc Pinay », l’Inde avec sa démonétisation audacieuse, ainsi que des initiatives panafricaines telles que celles envisagées par la Libye sous Kadhafi, fournissent des exemples instructifs des défis et des avantages associés à de telles mesures. Ces cas d’étude nous offrent des perspectives précieuses sur les implications économiques, politiques et sociales d’un changement de monnaie, ainsi que sur les meilleures pratiques à suivre.

Dans cette analyse, nous explorerons ces exemples pour comprendre comment un changement de monnaie pourrait potentiellement bénéficier à la Tunisie dans le contexte actuel. En examinant les leçons tirées des expériences passées et en tenant compte des défis spécifiques auxquels la Tunisie est confrontée, nous serons en mesure d’évaluer l’impérieuse nécessité et les avantages potentiels d’une telle mesure pour l’économie tunisienne.

 

L’exemple du Franc Pinay

L’exemple du « Franc Pinay », mis en place en France en 1958 sous le régime du général de Gaulle, offre une illustration éloquente des conséquences d’un changement de monnaie dans un contexte économique complexe.

Face à une situation financière préoccupante marquée  par l’inflation galopante et un déficit budgétaire important, le gouvernement français a adopté le plan « Pinay Rueff » pour restaurer la stabilité économique.

Ce plan ambitieux comprenait plusieurs mesures cruciales, notamment  la dévaluation du franc et la création d’une nouvelle monnaie, le « Nouveau Franc », qui était équivalent à 100 anciens Francs. L’objectif principal était de rétablir la confiance dans la monnaie française et de dynamiser l’économie en rendant les produits français plus compétitifs sur les marchés internationaux.

Malgré les réactions initiales mitigées et les préoccupations relatives à l’impact sur le pouvoir d’achat, le plan « Pinay Rueff » s’est avéré être une réussite retentissante. La dévaluation du Franc a permis de contenir les pressions inflationnistes et de restaurer la compétitivité des produits français à l’étranger.

De plus, la création d’une nouvelle monnaie a renforcé la confiance des citoyens dans la stabilité financière du pays.

En fin de compte, le plan « Pinay Rueff » a pavé la voie à une période de prospérité économique en France dans les années suivantes. Cet exemple illustre de manière frappante les avantages potentiels d’un changement de monnaie soigneusement planifié et mis en œuvre dans un environnement économique en difficulté. Comme le souligne l’économiste John Maynard Keynes, « Sur le long terme, nous sommes tous morts », ce qui implique que des mesures audacieuses sont parfois nécessaires pour stimuler l’économie et restaurer la confiance.

 

 

L’exemple de l’Inde

L’exemple de l’Inde en 2016 offre un récit fascinant des conséquences d’un changement de monnaie radical dans un pays confronté à des problèmes de corruption et d’argent noir. En novembre 2016, le gouvernement indien a annoncé de manière inattendue le retrait de la circulation des billets de 500 et 1000 roupies, représentant 86% de la valeur totale des billets en circulation, dans le but de lutter contre la corruption et l’évasion fiscale.

Cette démonétisation audacieuse a entraîné des répercussions majeures à court terme, notamment des files d’attente interminables devant les distributeurs de billet, une perturbation des transactions commerciales et une incertitude économique généralisée. Cependant, à long terme, cette mesure a réussi à réduire l’inflation, à favoriser la formalisation de l’économie informelle et à promouvoir l’utilisation de transactions électroniques, contribuant ainsi à la modernisation du système financier indien.

Malgré les défis initiaux et les critiques, la démonétisation a finalement abouti à des résultats positifs, soulignant la capacité d’un changement de monnaie radical à transformer l’économie d’un pays et à lutter contre la corruption endémique.

L’importance de cette décision réside dans sa capacité à susciter un débat mondial sur les méthodes de lutte contre la corruption et l’efficacité des mesures monétaires radicales dans ce contexte.

L’exemple de l’Inde illustre la nécessité parfois impérieuse de prendre des mesures drastiques pour réformer un système monétaire confronté à des défis persistants de corruption et d’évasion fiscale. Cette leçon transcende les frontières nationales et offre des « insights » précieux pour les gouvernements du monde entier confrontés à des défis similaires dans la lutte contre la corruption et le blanchiment de l’argent. 

 

 

L’exemple de la Libye et l’Afrique

L’exemple de la Libye et de l’Afrique, notamment avec l’introduction de l’Eco en 2020, offre un éclairage percutant sur les initiatives panafricaines visant à renforcer l’intégration économique et la stabilité monétaire sur le continent. Sous le régime de Kadhafi, la Libye avait envisagé la création d’une nouvelle monnaie, le « Dinar-Or », dans le cadre de ses initiatives panafricaines. Cependant, des changements concrets dans la monnaie libyenne ont eu lieu après la chute de Kadhafi, avec l’introduction de nouveaux billets en 2012.

Plus récemment, l’Eco a été créée en 2020 comme future monnaie unique pour quinze pays d’Afrique de l’Ouest, remplaçant le Franc CFA pour huit d’entre eux. Cette décision, prise par les chefs d’Etats et de gouvernement de la CEDEAO, vise à renforcer l’intégration économique régionale et à favoriser la stabilité monétaire en alignant les politiques monétaires des pays membres.

L’introduction de l’Eco représente une étape importante vers l’autonomie financière de l’Afrique de l’Ouest et témoigne de la volonté des pays membres de prendre leur destin en main sur le plan économique. Ce mouvement symbolise un pas audacieux vers une plus grande cohésion économique et une souveraineté monétaire accrue pour la région, marquant ainsi une nouvelle ère dans l’histoire financière de l’Afrique.

 

Bienfaits pour la Tunisie

Le changement de monnaie pourrait offrir plusieurs avantages cruciaux à la Tunisie dans le contexte actuel marqué par l’absence d’accord avec le FMI, le risque de dérapage inflationniste et le besoin urgent de ressources pour rembourser les dettes.

La récente loi autorisant la Banque Centrale de Tunisie (BCT) à accorder un prêt exceptionnel de 7 milliards de dinars à l’Etat, soulève des inquiétudes légitimes quant à son rôle de gardien de la stabilité monétaire.

L’injection soudaine d’une grande quantité de fonds dans l’économie sans une croissance correspondante de la production réelle pourrait conduire à une hausse générale des prix, affectant ainsi le pouvoir d’achat des ménages et sapant la stabilité économique.

Partant du principe de Gresham selon lequel la mauvaise monnaie chasse la bonne, principe avancé bien avant l’économiste anglais par l’historien égyptien Al-Maqrizi dans son traité sur les monnaies musulmanes, le risque est que la thésaurisation du dollar et de l’euro se fasse au détriment du Dinar. Le meilleur indicateur de cette tendance est le cours du Dinar sur le marché noir des devises.

Une nouvelle monnaie pourrait permettre à la Tunisie de reprendre le contrôle de sa politique monétaire et de mettre en œuvre des mesures adaptées à ses besoins économiques spécifiques, sans dépendre strictement des recommandations et des contraintes imposées par des partenaires internationaux.

De plus, un changement de monnaie pourrait contribuer à restaurer la confiance en offrant une perspective de stabilité économique à long terme.

En éliminant les incertitudes liées à la valeur de la monnaie et à l’évolution des politiques monétaires, la Tunisie pourrait attirer davantage d’investissements et stimuler la croissance économique.

En outre, un nouveau système monétaire pourrait offrir à la Tunisie l’occasion de moderniser son infrastructure financière et promouvoir l’utilisation de technologies innovantes dans les transactions financières, ce qui contribuerait à renforcer l’efficacité et la transparence du système financier.

En adoptant une approche proactive et stratégique, la Tunisie pourrait transformer les défis actuels en opportunités de développement durable et de prospérité économique pour ses citoyens.

En fin de compte, l’examen des expériences passées et des leçons apprises des changements de monnaie dans d’autres pays offre des perspectives précieuses pour la Tunisie dans sa quête de stabilité économique et de croissance durable.

Un changement monétaire ne se résume pas à une simple substitution de billets ; il représente un puissant levier capable de modeler l’avenir économique de la Tunisie en stimulant l’investissement et en influant sur les taux d’intérêt. Ce processus façonne ainsi un avenir prometteur, propice à l’amélioration de la vie quotidienne des tunisiens.

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