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Vers un PIB intégrant l’immatériel

25 Août 2024 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS Publié dans #Articles

Vers un PIB intégrant l’immatériel.    

     

  Par

Jamel

BENJEMIA                               

                                                                                           
                                        

 

Le Produit Intérieur Brut, longtemps perçu comme l’incarnation même de la croissance économique, apparaît aujourd’hui comme « un colosse aux pieds d’argile » dans le paysage des économies modernes.

Conçu dans les années 1930 par l’économiste Simon Kuznets, cet instrument était parfaitement adapté pour mesurer la production des biens tangibles, reflétant la vigueur des nations dans un monde industriel en pleine expansion.

Cependant, dans les sociétés contemporaines où l’intangible règne en maître absolu, le PIB révèle de plus en plus ses failles.

Prenons l’exemple de FaceBook : sa valeur intrinsèque réside dans les données qu’elle génère, les connexions qu’elle tisse et les services qu’elle offre gratuitement à des milliards d’utilisateurs. Pourtant, aucune de ces créations de valeur ne trouve une place légitime dans le calcul du PIB.

Le prix Nobel Robert Solow avait déjà prophétisé ce paradoxe en 1987 : « On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité ».

Alors que l’économie numérique redéfinit les contours de la croissance, le PIB persiste à ignorer cette richesse immatérielle, entraînant un décalage croissant entre les indicateurs traditionnels et la réalité contemporaine.

Les critiques académiques ne manquent pas. En 2009, à la demande du Président Sarkozy, Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi publient un rapport pour la Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social (CMPEPS).

Ils y dénoncent l’inadéquation du PIB pour appréhender la complexité des économies modernes. Ils soulignent notamment que le PIB, en se concentrant exclusivement sur la production marchande, néglige des dimensions essentielles telles que le bien-être, l’environnement, et surtout la création de valeur dans l’économie numérique. De fait, nombre de services immatériels échappent partiellement à cet indicateur désormais obsolète.

Le rapport, toutefois, s’est davantage attaché à explorer les dimensions multidimensionnelles du bien être qu’à élaborer des indicateurs correctifs pour un PIB prenant en compte la richesse immatérielle, respectant la lettre de mission initiale qui stipule : « déterminer les limites du Produit Intérieur Brut (PIB) en tant qu’indicateur de performance économique et de progrès social ».

Ainsi, à l’ère de l’économie numérique et des services, il devient urgent de réformer un PIB devenu anachronique, pour adopter un indicateur capable de prétendre au rôle de baromètre de la prospérité économique

 

 PIB classique et PIB immatériel

Le Produit Intérieur Brut (PIB) classique a longtemps été érigé en pilier de l’évaluation de la richesse économique d’un pays. Ce modèle se concentre essentiellement sur la production de biens et de services tangibles, en mesurant la valeur ajoutée dans les secteurs traditionnels comme l’industrie, l’agriculture, et les services marchands. Cependant, à l’ère des économies numériques, cette approche montre ses limites et révèle des lacunes croissantes, notamment en négligeant les contributions immatérielles devenues cruciales.

L’essor des technologies numériques et l’omniprésence des services gratuits offerts par des plateformes comme Google et FaceBook illustrent de manière éloquente ces insuffisances.

Le PIB classique peine en effet à saisir la véritable valeur des innovations technologiques et des services numériques non monétisés, qui transforment en profondeur nos sociétés. Comme l’observe l’économiste Diane Coyle, « les moteurs de recherche gratuits, par exemple, échappent aux calculs traditionnels du PIB, créant un fossé significatif entre l’économie réelle, de plus en plus numérique et dématérialisée, et les méthodes de mesure classiques ».

Par ailleurs, l’importance croissante des actifs immatériels, tels que la propriété intellectuelle, les brevets et les marques, met en lumière les insuffisances du PIB traditionnel.

Bien que non matériels, ces actifs constituent des sources majeurs de création de valeurs dans les économies contemporaines. En ignorant ces contributions immatérielles, le PIB classique offre une image biaisée de la réalité économique, sous-estimant les secteurs les plus dynamiques et innovants.

Dès lors, continuer à se fier uniquement au PIB classique pour évaluer la richesse nationale n’est plus seulement une approche dépassée, mais devient également inadaptée dans un contexte où l’immatériel joue un rôle central dans la croissance économique.

Il est impératif de repenser nos indicateurs pour mieux refléter la complexité et la richesse de nos économies modernes.

Vers une révision du PIB

Je propose une approche inédite pour calculer le Produit Intérieur Brut (PIB) immatériel :

PIB immatériel = I+D+S

Cette formule se donne pour mission de capturer l’essence même des nouvelles sources de création de valeur dans notre économie moderne.

Ici, I représente la part de l’innovation mesurée par les investissements en recherche et développement, D désigne la valeur des données échangées et leur impact économique, et S se réfère aux services gratuits et leur valeur perçue.

Chaque composante est non seulement évaluée en termes financiers, mais aussi selon son impact réel sur le bien-être collectif, offrant ainsi une mesure plus humaine et plus juste de notre prospérité.

Ce nouvel indicateur transcende la simple mesure de ce que nous possédons pour englober ce que nous sommes en tant que société créative, connectée et tournée vers l’avenir.

L’introduction du PIB immatériel appelle ainsi à une révision de la formule du PIB total.

Cependant, lorsqu’on tente d’intégrer ces éléments immatériels dans la mesure traditionnelle du PIB, des risques de redondance ou de double comptage peuvent surgir.

Par exemple, les revenus publicitaires générés par une plateforme numérique peuvent déjà être inclus dans le PIB classique en tant que services commerciaux, tandis que la même plateforme pourrait également être comptabilisée dans le PIB immatériel pour sa capacité à collecter et traiter des données.

Si ces chevauchements ne sont pas correctement pris en compte, la mesure globale du PIB pourrait être faussée.

Pour pallier ce problème, il est crucial de soustraire ces redondances lors du calcul du PIB immatériel.

Ainsi, la formule du PIB total se définit de la manière suivante :

PIB total = PIB classique + PIB immatériel – Redondance

Pour simplifier, le PIB immatériel Net peut être défini comme étant le PIB immatériel après soustraction des redondances, ce qui donne la formule finale :

PIB total = PIB classique + PIB immatériel Net.

Cette approche permet d’obtenir une mesure plus précise et complète de la richesse économique, en veillant à ce que chaque contribution soit comptabilisée une seule fois, et reflétant ainsi fidèlement la véritable croissance économique.

À l'ère de l'intelligence artificielle et des modèles économétriques sophistiqués, cette proposition ouvre la voie à une compréhension plus fine des dynamiques économiques contemporaines, en réconciliant le tangible et l’immatériel dans un cadre unifié.

 

Cependant, l’hypothèse classique du « Ceteris Paribus », ce concept qui postule que « toutes choses égales par ailleurs », se heurte souvent à la réalité économique complexe où, en vérité, rien n’est jamais vraiment égal par ailleurs.

Bien que cette simplification soit utile pour modéliser certaines situations économiques, elle masque la dynamique réelle des marchés et des interactions humaines.

La création de nouvelles formules, comme celle proposée pour intégrer le PIB immatériel, nécessite donc un travail méticuleux d’adaptation et de raffinement pour refléter fidèlement les réalités du XXIe siècle.

Un exercice de révision et de dépoussiérage des raisonnements économiques traditionnels s’impose également.

Ces raisonnements, souvent hérités d’une époque où les structures économiques étaient plus simples et moins interconnectées, ne suffisent plus à comprendre et mesurer les phénomènes modernes.

Par exemple, l’ancienne hypothèse selon laquelle un agent économique qui épouse sa femme de ménage augmenterait son revenu disponible peut sembler aujourd’hui décalée.

Certes, ce revenu pourrait augmenter temporairement, mais cette vision simpliste néglige les complexités et les imprévus de telles décisions, tant sur le plan personnel qu’économique.

En somme, la création d’un PIB total intégrant les aspects immatériels doit dépasser les modèles traditionnels pour s’ancrer dans une compréhension plus holistique de la croissance économique.

C’est là un défi passionnant pour les économistes d’aujourd’hui : repenser les outils et les méthodes de mesure afin de capturer la véritable richesse des nations à l’ère de l’innovation et de l’économie numérique.

 

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