L’économie en quête de sens : Une allégorie au chevet du monde.
L’économie en quête de sens :
Une allégorie au chevet du monde.
Par
Jamel
BENJEMIA
Dans un salon intemporel, baigné d’une lumière douce, où se mêlent l’éclat des idées et l’ombre des désaccords, les grandes figures de la pensée économique se retrouvent. Adam Smith, Karl Marx, John Maynard Keynes, Joseph Schumpeter et bien d’autres, convoqués au-delà du temps, sont réunis pour analyser un monde en proie à des turbulences sans précédent. Guerres aux ramifications planétaires, crise climatique d’une intensité alarmante, inégalités croissantes et pauvreté endémique : tels sont les défis urgents auxquels le monde est confronté. Face à ces fléaux, chacun mobilise ses outils intellectuels, hérités de traditions et contextes divers, mais tous convergent vers un objectif commun : éclairer un avenir incertain.
Le dialogue qui s’engage transcende les siècles et les écoles de pensée. Les principes du libre-échange s’affrontent aux critiques du capitalisme, tandis que l’intervention étatique débat avec les vertus supposées du marché. Entre la foi dans l’innovation portée par Schumpeter et la quête de stabilité prônée par Fisher, des trajectoires souvent parallèles mais parfois contradictoires, s’entrelacent dans une danse d’idées. Ce débat imaginaire devient une quête multidimensionnelle visant à surmonter une crise touchant autant l’économie que l’humanité.
La foi dans le marché
Avec la gravité d’un sage, Adam Smith (1723-1790), père du libéralisme économique, ouvre le bal. Sa voix, empreinte d’une sérénité bienveillante, fait l’éloge du marché autorégulé, cette fameuse « main invisible » qui orchestre harmonieusement les intérêts individuels pour le bien commun :
« La liberté des échanges, dit-il, est le socle sur lequel repose la prospérité des nations. En poursuivant son propre intérêt, chaque individu contribue, sans le savoir, au bien commun. »
À ses côtés, David Ricardo (1772-1823), plus austère, acquiesce. Il ajoute, d’un ton professoral : « Cependant, pour que cet équilibre perdure, les nations doivent se spécialiser en fonction de leurs avantages comparatifs spécifiques. Le commerce international, loin d’être un jeu à somme nulle, est une source de paix et d’enrichissement mutuel, à condition qu’il repose sur des règles justes. »
La critique du capitalisme
La salle, jusque-là attentive, se tend lorsque Karl Marx (1818-1883) prend la parole. Sa voix, grave et passionnée, tranche avec les discours précédents : « Cette vision est séduisante, certes, mais elle masque une réalité brutale : le capitalisme, tel qu’il existe, n’est qu’un vaste mécanisme d’exploitation. Les travailleurs, aliénés, ne récoltent pas les fruits de leur labeur. Le capital accumulé par une minorité se fait au détriment de la majorité. » Marx insiste sur la nécessité d’une révolution des rapports de production, appelant à abolir les inégalités structurelles.
Un silence pesant s’installe, rapidement brisé par John Maynard Keynes (1883-1946), dont l’approche pragmatique vient tempérer les ardeurs révolutionnaires : « Si je partage certaines de vos inquiétudes, Monsieur Marx, je crois en la capacité des institutions à corriger les excès du capitalisme sans pour autant en renverser les fondations. L’intervention de l’État, lorsqu’elle est bien calibrée, peut stimuler l’économie en temps de crise et garantir une certaine justice sociale. Même Madame Merkel, icône de l’orthodoxie budgétaire, a récemment brisé le dogme en déclarant son soutien à un assouplissement des règles encadrant la dette publique, notamment pour permettre des investissements dans des infrastructures stratégiques. Plus keynésienne qu’elle, je meurs, Monsieur Marx ! Pensons à l’avenir : un investissement massif dans l’éducation, la santé, les réseaux de transport et la transition écologique, est le levier dont nous avons besoin. »
L’innovation comme moteur du progrès
Les mots de Keynes trouvent un écho chez Joseph Schumpeter (1883-1950), qui, d’un geste vif, se lève à son tour :
« Le progrès naît toujours du chaos, affirme-t-il. Ce que vous appelez crise, je le perçois comme une opportunité de renouveau. L’innovation détruit les anciens modèles, mais elle en crée de nouveaux, plus adaptés aux besoins contemporains. Cette destruction créatrice est le moteur du développement. Cependant, pour que cette dynamique fonctionne, nous devons encourager les entrepreneurs, les visionnaires, et ceux qui osent prendre des risques. »
D’un geste mesuré, Irving Fisher (1867-1947) intervient pour recentrer le débat : « Schumpeter a raison sur l’importance de l’innovation, mais n’oublions pas que l’instabilité financière peut réduire à néant les meilleures initiatives. La régulation des marchés, en particulier la gestion de la dette et des taux d’intérêt, est cruciale pour éviter les crises systémiques. La volatilité n’est pas seulement une conséquence du marché libre ; elle est souvent exacerbée par des comportements spéculatifs qu’il convient de contenir. »
La liberté au cœur du débat
Dans un coin de la salle, Friedrich Hayek (1899-1992) et Milton Friedman (1912-2006) échangent un regard complice avant de prendre tour à tour la parole. Hayek, d’abord, rappelle : « La liberté est le fondement de toute prospérité durable. Lorsque l’État intervient trop, il fausse les signaux du marché, créant des inefficacités qui nuisent à tous. La planification centrale est une chimère dangereuse. » Friedman renchérit : « Laisser aux individus le soin de choisir, de créer, d’échanger librement est la clé. Les marchés libres, bien qu’imparfaits, restent le meilleur moyen de garantir la croissance et l’innovation. »
Ce discours libéral trouve un contrepoint chez Paul Samuelson (1915-2009), dont la voix posée invite à la nuance :
« Hayek et Friedman ont raison de valoriser la liberté, mais ignorer les externalités négatives serait une erreur. Le marché ne peut corriger à lui seul les déséquilibres sociaux ou environnementaux. Nous devons donc trouver un équilibre : réguler suffisamment pour éviter les dérives, tout en préservant les incitations à l’innovation. »
Une vision humaniste de l’économie
Dans un élan presque poétique, Alfred Marshall (1842-1924) prend le relais :
« L’économie ne saurait être réduite à des chiffres et des courbes. Elle est d’abord une science humaine. Si nous voulons bâtir une société prospère, nous devons investir dans le capital humain : éducation, santé, conditions de travail. La richesse d’une nation repose autant sur ses ressources que sur le bien-être de ses citoyens. »
À mesure que les voix s’élèvent et s’entrelacent, un fil rouge apparaît : la conviction que la diversité des approches est une force. Loin de s’annuler, ces perspectives complémentaires offrent un prisme riche pour analyser et résoudre les crises contemporaines. Adam Smith et Karl Marx, malgré leurs divergences, semblent se rejoindre dans un constat implicite : l’économie est un outil, au service de l’humanité, et non l’inverse.
Keynes, d’une voix presque murmurée, conclut : « Ce n’est qu’en croisant nos idées que nous pourrons transcender les défis. Car, si je peux avoir tort seul, ensemble, nous avons la capacité d’avoir raison. »
Ainsi, le véritable remède aux maux du monde ne réside pas dans une doctrine unique, mais dans l’harmonie des idées, dans la rencontre féconde entre pragmatisme et utopie. Chaque pensée, telle une note isolée, peut sembler incomplète ; mais, lorsqu’elle s’harmonise avec d’autres dans une synchronisation subliminale, elle compose une symphonie capable d’apaiser les turbulences économiques et sociales.
Si l’économie, souvent perçue comme une science froide et distante, trouve ici une chaleur nouvelle, c’est grâce à une confiance dans l’intelligence collective et la convergence des forces vives. Car, isolé, chacun peut vaciller dans l’ombre de l’erreur, mais unis, nous avons le pouvoir d’éclairer une vérité plus vaste et d’ouvrir des sentiers inexplorés. Le monde, fragile comme une écorce fissurée par le temps, n’attend pas de pansements éphémères ni de greffons inappropriés, mais une vision renouvelée, profonde et audacieuse. De ce foisonnement d’idées, porté par des bâtisseurs éclairés, émergeront des solutions capables d’instaurer un équilibre fécond et durable.
Ainsi, bien que Monsieur Keynes ait rappelé, avec un brin d’ironie, « qu’à long terme, nous serons tous morts », il n’en demeure pas moins que le véritable fléau de notre époque réside dans les solutions à courte vue et les demi-mesures.
Ce dialogue imaginaire devient alors bien plus qu’un simple exercice intellectuel : il se mue en un appel vibrant à conjuguer savoir et volonté pour réinventer l’économie au service du bien commun.
Car l’avenir, s’il est incertain, ne peut se construire qu’en puisant dans la richesse de notre diversité intellectuelle et en osant des solutions à la hauteur des défis.
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