La croissance de demain : Régénérer, réconcilier et partager un dessein durable.
La croissance de demain :
Régénérer, réconcilier et partager un dessein durable.
Par
Jamel
BENJEMIA
L’économiste est à la fois le témoin des bouleversements du monde et le gardien des équilibres fragiles qui le sous-tendent. Enfermé dans ses modèles, souvent caricaturé en observateur stérile, il est accusé de dénoncer sans réparer. On lui reproche de ne proposer que des constats sombres, d’être le « Cassandre » désabusé d’un déclin annoncé, incapable d’élargir les horizons ou de rendre le réel accessible à tous.
Mais ce portrait, celui d’un penseur désarmé face aux tempêtes de son époque, s’efface aujourd’hui. L’économiste du XXIe siècle, confronté à l’urgence climatique, aux fractures sociales et aux limites d’un système à bout de souffle, ne peut plus se contenter d’observer. Il devient un éclaireur, un bâtisseur, un tisseur de possibles. Mariant rigueur analytique et audace créative, il se réinvente pour esquisser les contours d’une croissance à la hauteur des défis planétaires, capable de conjuguer prospérité et responsabilité, justice et durabilité.
Dans un monde ébranlé par des crises multiples, où chaque certitude semble vaciller, une question fondamentale s’impose : quel visage donner à la croissance de demain ? Ce futur ne pourra plus se mesurer à l’aune d’un PIB aveugle aux inégalités et à la destruction du vivant. Il devra embrasser une vision plus vaste, une prospérité partagée, régénérative et résiliente. Cet article s’attache à tracer les lignes de cette transition audacieuse, à travers les prismes de la régénération, de la réconciliation et du partage.
La croissance régénérative
La croissance régénérative n’est pas un simple palliatif ni une réponse timide aux excès du passé. Elle incarne une transformation profonde, une réinvention des rapports entre l’humanité et son environnement, entre production et préservation. Son ambition dépasse la simple réparation : elle aspire à un cycle créatif où les ressources, loin d’être épuisées, se renouvellent, et où la prospérité s’enracine dans une harmonie durable, à la fois sociale et écologique.
L’énergie solaire, symbole éclatant de cette mutation, marque une rupture décisive avec les combustibles fossiles. Inépuisable, elle se démocratise à mesure que ses coûts diminuent et que ses infrastructures se multiplient. Plus qu’une ressource technique, l’énergie solaire redéfinit la souveraineté énergétique et favorise l’émergence de communautés locales autonomes.
À cette source lumineuse s’ajoute l’hydrogène vert, un vecteur énergétique susceptible de révolutionner les secteurs nécessitant une décarbonation. L’hydrogène vert dépasse le simple remplacement des hydrocarbures : il restructure les chaînes de valeur, stimule l’innovation, et trace les contours d’une transition industrielle sobre et durable.
Mais la croissance régénérative ne s’arrête pas à l’énergie. Le recyclage, véritable pilier de l’économie circulaire, transforme les déchets en ressources, abolissant l’idée même de résidu. Cette boucle vertueuse, qui allie écologie et économie, génère des opportunités d’emploi, réduit la dépendance aux matières premières vierges et redynamise les territoires.
La géothermie, en exploitant la chaleur terrestre, complète cet édifice. Source propre et constante, elle alimente le chauffage, l’industrie, et stabilise les réseaux électriques. Couplée à l’énergie éolienne, terrestre et offshore, elle illustre la capacité humaine à exploiter les forces de la nature sans les altérer.
Pourtant, ces avancées technologiques ne suffiront pas si elles ne s’intègrent pas dans une vision systémique. Par exemple, le surplus d’énergie solaire ou éolienne pourrait produire de l’hydrogène vert, tandis que les déchets organiques nourriraient des circuits énergétiques circulaires. Ces synergies, coordonnées par des réseaux intelligents, transcendent les clivages technologiques et offrent un potentiel insoupçonné pour repenser nos usages.
Cependant, la régénération ne saurait se limiter à une révolution technologique. Elle exige une refonte des modèles économiques. La croissance régénérative doit être accessible à tous. Les panneaux solaires ne doivent pas rester un luxe pour quelques privilégiés, et l’hydrogène vert doit également s’inscrire dans des politiques publiques inclusives.
Ainsi, la croissance régénérative dépasse la simple réparation des erreurs passées. Elle dessine un avenir où la prospérité enrichit autant qu’elle préserve.
Une croissance réconciliée avec le vivant
Au-delà des ressources et des systèmes énergétiques, la croissance de demain devra se réconcilier avec le vivant. Cela implique une transformation profonde : replacer la nature, qui fut longtemps considérée comme une variable d’ajustement, au cœur de nos processus économiques.
L’histoire économique moderne s’est souvent bâtie sur l’idée fallacieuse d’une nature infinie, exploitée sans contrainte. Or, réconcilier croissance et vivant impose une rupture : considérer la nature comme un partenaire essentiel et non plus comme un simple réservoir de matières premières.
Planter des forêts, préserver les zones humides et régénérer les sols ne sont pas des gestes anecdotiques ou accessoires. Chaque hectare préservé, chaque espèce sauvée et chaque écosystème restauré enrichissent le capital naturel, essentiel à la prospérité humaine.
Dans le domaine agricole, l’adoption de pratiques régénératives, comme l’agroécologie, transforme les paradigmes.
Ce modèle, fondé sur la diversité des cultures et la coopération avec les cycles naturels, prouve que production alimentaire et préservation des écosystèmes ne s’opposent plus mais se renforcent mutuellement.
Nos modes de consommation devront également évoluer. Une « sobriété heureuse » pourrait émerger, valorisant les biens réparables, l’économie d’usage, et le rejet de l’obsolescence programmée. Ces pratiques, bien plus qu’un ajustement technique, traduisent une rupture culturelle majeure, alignant nos aspirations avec une coexistence respectueuse du vivant.
La sobriété : contrainte ou opportunité ?
Longtemps perçue comme une entrave au progrès, la sobriété pourrait, au contraire, offrir une opportunité inédite de retrouver une forme d’abondance authentique. En limitant notre dépendance au superflu, nous redirigeons nos efforts vers des priorités comme l’éducation, la santé et l’innovation. Produire moins, mais mieux, est à la fois un impératif écologique et une source de satisfaction.
Cette réflexion conduit à repenser nos aspirations profondes. Le bonheur réside moins dans l’accumulation matérielle que dans la richesse des relations humaines, dans les expériences partagées et dans un mode de vie en accord avec les contraintes écologiques. La sobriété devient alors une promesse d’épanouissement en harmonie avec les limites de notre planète.
Le rôle essentiel de l’inclusion sociale
Une croissance durable ne peut se concevoir sans une inclusion sociale profonde et sincère. L’accès universel à l’énergie, à l’éducation et à la santé constitue non seulement un droit, mais une condition préalable à la prospérité collective.
Des initiatives comme « Solar Mamas », pilotées par le Barefoot College en Inde, incarnent cette vision. En formant des femmes issues de milieux défavorisés à l’installation et à la maintenance de panneaux solaires, ce projet illustre comment écologie et justice sociale peuvent converger. Ces femmes, en devenant actrices de la transition énergétique, accèdent à une autonomie qui transforme leurs vies et leurs communautés.
De tels exemples démontrent que l’inclusion sociale n’est pas un coût, mais un moteur de croissance.
Vers une économie du partage
Face à des défis globaux tels que la raréfaction des ressources, l’intensification des tensions climatiques et géostratégiques, ainsi que l’aggravation des inégalités, l’économie de partage se dresse comme une alternative puissante, bousculant les logiques traditionnelles d’accumulation et de concentration des richesses.
Cette vision ne se limite pas à l’idée de mutualiser des biens ou des services. Elle repose sur une transformation systémique où l’utilisation des ressources, des compétences et des opportunités s’oriente vers une logique collective, inclusive et durable. Les plateformes numériques, bien qu’imparfaites, offrent un avant-goût de ce modèle, où la propriété laisse peu à peu place à une utilisation partagée et responsable. Le législateur doit s’assurer qu’aucune forme d’exploitation ou d’esclavage moderne ne puisse émerger sous couvert d’innovation.
Dans une économie du partage réelle, les richesses ne sont plus accumulées mais redistribuées, créant ainsi une société plus équitable, plus solidaire, et surtout plus résiliente face aux chocs à venir.
Cette transition régénérative, inclusive et fondée sur le partage, n’est ni un horizon lointain ni une utopie irréaliste. Elle commence ici et maintenant, portée par une série de choix individuels et collectifs.
La croissance de demain ne se mesurera plus uniquement en chiffres ou en taux, mais en sourires partagés, en ressources préservées, et en rêves accompagnés par une humanité réconciliée avec elle-même et avec la planète.
COP29 : Symbiose renforcée ou paralysie fatale ?
COP29 :
Symbiose renforcée
ou
paralysie fatale ?
Par
Jamel
BENJEMIA
La COP29, 29e conférence des Nations unies sur les changements climatiques, se tient cette année du 11 au 22 novembre 2024 dans la ville de Bakou, en Azerbaïdjan.
Depuis la première conférence des parties (COP) en 1995, chaque réunion a marqué une étape dans la lutte mondiale contre le réchauffement, mais cette édition se distingue par une urgence climatique inédite. Dans un contexte de records de température, d’écosystèmes en péril et de catastrophes naturelles répétées, cette conférence apparaît comme l’ultime rempart face aux tumultes d’un horizon incertain. Les dirigeants de ce monde convergent vers cette ville millénaire, entre l’espoir d’un renouveau climatique et la crainte d’un échec fatal.
Le choix de Bakou, ville emblématique des énergies fossiles, ancrée dans un passé de pipelines et de gisements, soulève un paradoxe profond. Peut-on envisager l’évolution du climat depuis un lieu qui incarne les contradictions mêmes de notre époque, écartelée entre le poids d’un passé carboné et la promesse d’une destinée décarbonée ? Bakou représente ainsi bien plus qu’un lieu de rencontre : elle est l’incarnation des tensions d’une transition encore balbutiante, où chaque décision doit trouver l’équilibre fragile entre les impératifs économiques et écologiques.
Les négociations qui s’ouvrent sous ce ciel chargé ne sont pas seulement politiques. Elles représentent une quête de sens pour une humanité en quête de rédemption, déterminée à échapper aux griffes de ses propres erreurs. Dans ces arènes diplomatiques, chaque engagement, chaque mot posé, résonne comme un serment à la terre, une réponse aux cris de la nature qui se meurt.
La crise climatique à son paroxysme
Alors que la COP29 s’apprête à délibérer, l’humanité s’avance tel un funambule, équilibriste au-dessus d’un précipice. L’année 2024 a été le théâtre d’un climat devenu fou : des vagues de chaleur suffocantes aux incendies qui ont ravagé forêts et habitats, en passant par des inondations meurtrières, chaque désastre est un signal d’alerte que notre planète envoie à ceux qui l’habitent encore. En janvier dernier, la température moyenne mondiale s’est élevée à 13,14 °C, dépassant de 0,7 °C la moyenne observée entre 1991 et 2020, selon l’Observatoire Copernicus. Ce seuil est plus qu’un chiffre, il est la marque de l’irréversible qui s’installe.
La fonte des glaciers, l’élévation rapide des océans, la destruction des poumons verts de la planète : chaque drame écologique nous plonge davantage dans une ère de désenchantement. La biodiversité, ce trésor invisible, s’érode dans un silence qui amplifie encore la gravité de la perte. Les forêts, comme l’Amazonie, ne sont plus seulement des paysages mais des victimes d’un sacrifice. Leur lente agonie rappelle que derrière chaque chiffre de CO2, il y a un monde vivant dont la survie nous est intimement liée.
Ce paysage de désolation est un présent qui s’étiole, une réalité qui s’éclipse sous nos yeux, bien plus qu’une simple image du futur. La COP29, à cet égard, n’est pas seulement une conférence, mais un acte de foi, un geste ultime de ceux qui croient encore que tout n’est pas perdu, que l’humanité peut encore répondre aux tourments d’une terre en souffrance.
Les paradoxes de Bakou
L’image de Bakou, bâtie sur les énergies fossiles, est un écho amer à l’urgence climatique. Choisie pour accueillir les négociations de cette COP29, la ville interroge et dérange. Cité érigée sur les vestiges d’un passé d’abondance carbonée, elle est aujourd’hui confrontée à un dilemme existentiel : peut-elle vraiment porter le flambeau d’une transition verte tout en demeurant fidèle à son histoire d’or noir ? Ce n’est pas seulement un défi logistique ou géographique, mais une interrogation philosophique. Peut-on sérieusement envisager une ère durable dans un lieu façonné par des énergies qui, jusque-là, symbolisaient le triomphe de l’exploitation sur la préservation ?
À cette contradiction s’ajoutent les tensions géopolitiques, celles d’une région marquée par des querelles ancestrales, notamment entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Le conflit latent qui s’est dessiné au-delà des frontières rappelle combien la paix climatique dépend aussi de la paix entre les nations. Certains ont choisi de boycotter cette COP, amplifiant les fractures politiques qui gangrènent les débats, tout en détournant le regard sur d’autres tragédies. Un parfait exemple du « En même temps », où l’indignation sélective devient une posture plus confortable que l’action réelle.
Soyons conscients que chaque compromis, chaque geste diplomatique fort, porte en lui la double charge de la justice climatique et planétaire. Bakou s’impose indiscutablement comme un microcosme des tensions de notre époque, où l’écologie doit composer avec les luttes de pouvoir.
Ainsi, la capitale azérie s’impose comme un symbole complexe de notre temps, un théâtre d’attentes multiples et souvent contradictoires, à l’image de ses multiples facettes.
Espoir et impasse
La COP29 s’annonce comme un moment de vérité pour l’humanité, entre espoirs ardents et impasses redoutées. Le financement climatique, notamment pour les pays du Sud, reste une priorité absolue. Ces nations, malgré leur contribution marginale aux émissions globales, subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique. En 2023, seuls 83 milliards de dollars sur les 100 milliards promis ont été mobilisés, révélant l’écart béant entre les engagements et leur concrétisation. Chaque dollar manquant dans ce financement est une barrière de plus à la résilience des pays en première ligne des catastrophes écologiques.
À Bakou, cet objectif devient un impératif moral : les États devraient prouver si leurs promesses peuvent se traduire en soutien réel, et si les financements post-2025 seront enfin à la hauteur des besoins urgents.
Un autre enjeu crucial réside dans la mise en œuvre de l’article 6 de l’accord de Paris, qui vise à créer des marchés de carbone. Conçus avec rigueur, ces mécanismes pourraient servir de fondement à une coopération climatique mondiale authentique. Mais le risque de dérives est réel, avec les tentations de double comptage et de profit à court terme. Les délégués devront donc se montrer intransigeants, afin que ces mesures servent réellement la cause climatique et non des intérêts immédiats.
Le monde entier a les yeux rivés sur Bakou, suspendu à l’espoir que cette COP29 inspire un élan collectif, ou, à défaut, évite une paralysie fatale. Ce sommet incarne à la fois un moment de désillusion et un appel pressant à la solidarité, où le destin collectif repose sur chaque engagement et chaque décision énoncée.
Une promesse fragile
À mesure que la COP29 touche à sa fin, des compromis pèsent déjà sur les résolutions finales. Parmi les propositions figure un « paquet énergétique » global, visant à tripler les énergies renouvelables et à doubler l’efficacité énergétique d’ici 2030. Cet objectif, bien qu’audacieux, est sans cesse menacé par des intérêts profondément ancrés autour des combustibles fossiles.
Sous les regards du monde entier, chaque acteur porte désormais le poids du destin commun. La planète, vulnérable et épuisée, attend un signal clair : celui d’un engagement sincère, où les paroles se transforment en actions.
En Australie occidentale, une révolution silencieuse éclaire les toits : le solaire couvre désormais 80,5 % de la production d’électricité, reléguant le gaz et le charbon à des parts modestes de 8 % chacun.
Une avancée qui prouve que, lorsqu’elle s’affirme, la volonté politique peut métamorphoser l’impossible en réalité, et éclaire la voie pour ceux qui doutent encore du potentiel d’une transition.
Cependant, cette conférence pourrait aussi marquer le point de départ d’une solidarité inédite, un moment de prise de conscience partagée. Si les accords de Bakou ne sont pas parfaits, ils tracent un chemin : celui d’un équilibre précaire mais vital entre préservation et développement. La COP29, malgré ses limites, représente une lueur d’espoir, comme le battement timide d’une promesse fragile, une ultime tentative de l’humanité pour honorer son lien avec la terre.
Bakou pourrait bien incarner cet instant décisif où le monde s’engage enfin vers une symbiose renforcée avec son avenir. Car, dans l’urgence climatique, seule une volonté inflexible saura transformer ce frémissement d’espoir en un souffle tangible, porteur d’un horizon durable.
Car de ce souffle naîtra peut-être une aurore, fragile mais lumineuse, où l’humanité apprendra enfin à s’accorder au rythme de la terre.
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Par
Jamel
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