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L’Europe selon Mario Draghi : Une vision économique à l’épreuve.
L’Europe selon Mario Draghi :
Une vision économique à l’épreuve.
Par
Jamel
BENJEMIA
Mario Draghi, ancien Président de la Banque centrale européenne (BCE) et ancien Premier ministre italien, s’impose comme une figure incontournable sur la scène économique européenne. Son engagement retentissant de 2012, où il promit de faire « tout ce qui est nécessaire » pour sauver l’euro, a marqué un tournant décisif dans la gestion des crises économiques du continent. Aujourd’hui, il propose une vision audacieuse pour l’Europe, axée sur l’intégration, l’innovation et la souveraineté économique. À travers ses réformes, Draghi ambitionne de refaçonner l’économie européenne, la rendant plus compétitive et résiliente face aux défis mondiaux. Cet article explore les principes qui sous-tendent sa philosophie économique, les propositions qu’il avance pour renforcer l’Europe et les obstacles qui jalonnent ce chemin.
Le tournant de 2012
En 2012, alors que l’euro vacillait sous le poids de la dette souveraine, menaçant l’unité européenne, Draghi, alors à la tête de la BCE, prononça des mots qui allaient changer le cours de l’histoire : « tout ce qui est nécessaire » serait fait pour préserver la monnaie unique. Cette déclaration eut un effet immédiat, apaisant les marchés financiers et insufflant une nouvelle confiance dans la capacité de l’Europe à surmonter la tempête. Elle ne fut pas un tournant pour l’euro, mais aussi pour la crédibilité de la BCE, désormais reconnue comme gardienne de la stabilité financière.
Sous la direction de Draghi, la politique monétaire de la BCE s’illustra par des mesures non conventionnelles, telles que l’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing), qui consistait à acheter massivement des obligations souveraines afin de maintenir des taux d’intérêt bas et de stimuler l’économie. Ces interventions ont permis de stabiliser les marchés et d’éviter une spirale déflationniste, mais elles ont aussi redéfini la philosophie monétaire européenne en légitimant un rôle interventionniste de la BCE. Cela marqua un revirement de l’orthodoxie monétaire qui prévalait depuis la création de l’euro, où la lutte contre l’inflation primait souvent au détriment de la croissance.
Les critiques et les enseignements
Les politiques menées par Draghi n’ont cependant pas fait l’unanimité. Dans le Nord de l’Europe, des voix s’élevèrent, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas, pour dénoncer l’assouplissement quantitatif, redoutant qu’il ne génère un aléa moral en réduisant la pression sur les États pour qu’ils entreprennent des réformes structurelles. Ils craignaient aussi les risques d’inflation et l’accumulation d’une dette abyssale, favorisée par des taux d’intérêt historiquement bas. Or, les craintes d’une flambée inflationniste ne sont pas concrétisées à court terme, et la stratégie de Draghi a pavé la voie à des politiques budgétaires plus interventionnistes, comme le « quoi qu’il en coûte » appliqué pendant la crise du COVID-19.
Draghi a démontré qu’il était possible de concilier stabilité monétaire et soutien à la croissance économique.
Sa politique a inspiré d’autres banques centrales, telles que la Réserve Fédérale américaine, qui ont adopté des mesures similaires pour stimuler leurs économies.
Néanmoins, le défi de la normalisation de la politique monétaire après une longue période de taux bas demeure, d’autant plus dans un contexte de retour de l’inflation.
L’intégration et l’innovation
Pour Draghi, il ne suffit pas de stabiliser la monnaie européenne ; il faut s’attaquer aux racines du retard économique du continent, en particulier dans les domaines de l’innovation et de la compétitivité. Dans son rapport sur la compétitivité remis à la Commission européenne en septembre 2024, il propose un ensemble de mesures pour dynamiser l’innovation, améliorer le financement des projets à haut risque et tirer parti de la taille du marché européen.
L’une des principales faiblesses de l’Europe réside dans la fragmentation de ses marchés des capitaux. Contrairement aux États-Unis, où les investissements en capital-risque et les financements non bancaires jouent un rôle prépondérant dans le développement des start-ups, l’Europe pâtit de régulations disparates qui entravent la croissance.
Pour Draghi, harmoniser les règles en matière d’insolvabilité, et créer une autorité de supervision des marchés de capitaux, similaire à la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine, sont des étapes cruciales pour libérer le potentiel économique du continent.
En outre, il prône une stratégie européenne commune en matière de recherche et d’innovation. Il propose la création d’Agences européennes de projets de recherche avancée (ARPA) pour investir dans les technologies de pointe, à l’image de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) aux États-Unis. Une telle initiative renforcerait la capacité de l’Europe à innover dans des secteurs stratégiques tels que l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables et la santé.
Vers une souveraineté économique
Face aux tensions mondiales croissantes, Draghi plaide pour une plus grande souveraineté économique de l’Europe. Les crises récentes, qu’il s’agisse de la pandémie de COVID-19 ou de la guerre en Ukraine, ont révélé les vulnérabilités de l’Europe en matière d’approvisionnement en énergie et en produits essentiels, soulignant l’importance d’une autonomie accrue.
Pour y parvenir, Draghi propose de mutualiser certains efforts de défense, en intégrant les industries militaires et en développant une politique de défense commune. Cette démarche permettrait de réduire les coûts et de renforcer l’autonomie stratégique du continent face aux grandes puissances.
Cependant, cette proposition se heurte à la désapprobation de certains États membres, réticents à abandonner une part de leur souveraineté en matière de défense.
La question énergétique est également au cœur de la vision de Draghi pour une Europe souveraine. Il insiste sur l’importance d’une transition accélérée vers les énergies renouvelables, accompagnée d’une réduction de la dépendance aux importations énergétiques. Si l’Union Européenne a déjà entrepris des initiatives ambitieuses avec le Pacte vert, Draghi préconise qu’il faut aller plus loin en renforçant les infrastructures transfrontalières et en investissant massivement dans les technologies propres. Une politique énergétique commune permettrait de mieux résister aux fluctuations des hydrocarbures et d’accroître la sécurité économique.
La Tunisie pourrait bénéficier du Pacte vert européen en exploitant les nouvelles opportunités de coopération économique et technologique. Cela lui permettrait non seulement de moderniser son économie, mais aussi de jouer un rôle stratégique dans la transition écologique euro-méditerranéenne.
Les défis structurels
Malgré l’ambition des réformes proposées par Draghi, leur mise en œuvre s’annonce semée d’embûches. Les divergences entre les États membres, notamment entre le Nord et le Sud de l’Europe, compliquent l’adoption d’une politique économique commune. Les pays du Nord, plus frileux à l’idée d’endettement massif, redoutent les conséquences budgétaires de ces réformes, qui nécessiteraient un effort financier équivalent à un nouveau Plan Marshall (750 à 800 milliards d’euros par an).
L’intégration des marchés de capitaux et la défense commune impliquent des transferts de souveraineté que de nombreux gouvernements hésitent à accepter. Ce débat souligne la tension persistante entre l’approfondissement de l’Union et le respect des identités nationales, un dilemme qui a façonné l’Europe depuis ses débuts.
Une voie à tracer
La philosophie économique de Mario Draghi repose sur l’idée de renforcer l’Europe à travers l’intégration, l’innovation et l’autonomie stratégique. Face à une concurrence mondiale accrue et à des défis internes, il propose des réformes ambitieuses visant à surmonter les faiblesses structurelles du continent.
Pour réussir, l’Europe devra dépasser ses divisions internes et faire preuve d’une volonté politique digne des premiers bâtisseurs. Les propositions de Draghi constituent un appel à une action concertée pour garantir que l’Europe puisse non seulement rivaliser avec les grandes puissances, mais aussi protéger son modèle social unique.
L’Europe se trouve à un carrefour historique. Le choix de suivre la voie tracée par Draghi pourrait redéfinir son rôle dans l’économie mondiale et renforcer sa résilience face aux crises futures. Mais ce choix exigera un consensus politique fort pour surmonter les instincts nationaux et embrasser pleinement une vision de l’unité européenne, plus nécessaire que jamais.
Car si l’Europe a su tisser les fils de ses échanges, ériger ses marchés en temples de prospérité, elle n’a pas encore forgé l’âme de ses citoyens. Et pourtant, pour prétendre à une place parmi les puissances du monde, elle devra s’élever au-delà du commerce pour façonner une véritable communauté de destins.
La « théorie du ruissellement » ou la douce illusion
La « théorie du ruissellement » ou la douce illusion
Par
Jamel
BENJEMIA
« La théorie du ruissellement » économique, popularisée en 1932 par l’humoriste américain Will Rogers, se moquait du programme des réductions d’impôts du Président Hoover, en suggérant avec ironie que des cadeaux fiscaux aux plus riches finiraient par profiter à l’ensemble de la population. Plus tard, cette idée fut reprise plus sérieusement par David Stockman, directeur du budget de Ronald Reagan dans les années 1980, qui proposait de réduire les impôts des plus fortunés et des grandes entreprises, espérant que les bénéfices finiraient par se diffuser vers les classes sociales inférieures. Les partisans de cette théorie avancent que la prospérité des plus riches se traduit inéluctablement par des investissements accrus, la création d’emplois et une croissance économique généralisée, faisant du ruissellement un mécanisme naturel de l’économie, où les gains des plus aisés finissent par « ruisseler » vers le reste de la société.
Cependant, cette vision optimiste s’accompagne rarement d’une analyse critique de ses effets concrets. En pratique, les inégalités économiques n’ont cessé de croître, et les données montrent que les gains les plus significatifs ont été captés par une infime minorité. Comme l’indiquait Samir Amin, le modèle actuel semble davantage confirmer que « les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent » plutôt que de prouver la validité de « la théorie du ruissellement ». Les quelques miettes généreuses laissés aux plus pauvres ne suffisent pas à compenser les déséquilibres structurels du système.
Les limites de la théorie du ruissellement
L’une des principales critiques de « la théorie du ruissellement » réside dans le fait qu’elle repose sur une conception simpliste du comportement économique des plus riches. Au lieu de réinvestir massivement leurs gains dans l’économie réelle, une grande partie de leurs richesses est souvent placée dans des actifs financiers, tels que les actions, l’immobilier de luxe ou les œuvres d’art, qui profitent très peu à la majorité de la population. Cette accumulation de richesses sous forme de capital non productif contribue à l’inflation des actifs plutôt qu’à une véritable croissance économique inclusive.
Par ailleurs, les politiques fiscales favorisant les plus riches – comme les baisses d’impôts sur les sociétés et les réductions des impôts sur les gains en capital – ne se traduisent pas nécessairement par des investissements productifs. Les entreprises préfèrent souvent utiliser leurs gains pour racheter leurs propres actions, augmenter les dividendes ou accorder des rémunérations extravagantes aux dirigeants, plutôt que de créer des emplois ou d’améliorer les salaires des travailleurs. Cela conduit à une concentration accrue des richesses, renforçant les disparités économiques au lieu de les atténuer.
Les mécanismes de redistribution supposés par le ruissellement échouent aussi souvent à compenser l’impact des inégalités croissantes. Les salaires des travailleurs les moins qualifiés stagnent, tandis que le coût de la vie – notamment pour le logement, les soins de santé et l’éducation – continue d’augmenter. Les quelques « miettes » qui atteignent les plus démunis s’avèrent insuffisantes pour améliorer substantiellement leur qualité de vie.
Les conséquences sociales
L’aggravation des inégalités économiques entraîne des répercussions sociales profondes. Les plus riches ont non seulement un accès disproportionné aux ressources économiques, mais aussi un pouvoir accru pour influencer les politiques publiques. Les systèmes de santé, d’éducation et de protection sociale, qui pourraient bénéficier à la majorité, sont souvent négligés au profit de mesures qui favorisent les intérêts des élites économiques.
Les inégalités de revenus s’accompagnent alors d’inégalités d’opportunités. Les enfants issus de milieux modestes ont moins de chances d’accéder à une éducation de qualité, ce qui limite leurs perspectives de mobilité sociale. La promesse d’une croissance inclusive, où tous profiteraient du progrès économique, est remise en question. Les sociétés se fragmentent alors davantage, avec une élite prospère et une majorité peinant à suivre le rythme.
Les inégalités de patrimoine se répercutent également sur l’accès aux services essentiels. Les disparités dans le système de santé, par exemple, s’accentuent lorsque les plus pauvres n’ont pas les moyens d’accéder à des soins de qualité, tandis que les plus riches peuvent se permettre les meilleures cliniques privées. Ce fossé se creuse aussi dans le domaine du logement, où les prix élevés dans les grandes villes excluent les classes populaires du marché immobilier, renforçant la ségrégation urbaine.
Quelques miettes, mais pas de véritable partage
Il serait injuste de dire que les pauvres ne bénéficient absolument pas de la croissance économique générée par les riches. Dans certains cas, les investissements réalisés par les entreprises ou les dépenses de consommation des plus fortunés peuvent effectivement créer des emplois et stimuler une activité économique locale. Mais ces effets restent limités, incapables de combler les écarts de richesse substantiels.
Les miettes du ruissellement se manifestent parfois à travers des programmes de responsabilité sociale des entreprises ou la philanthropie, où les riches s’engagent dans des actions caritatives. Toutefois, ces initiatives demeurent insuffisantes face à l’ampleur des inégalités systémiques et ne remplacent pas des politiques publiques ambitieuses de redistribution. Le caractère volontaire de ces démarches laisse également penser qu’il revient à la générosité des plus fortunés de décider ce qu’il convient de « partager » avec les moins chanceux, au lieu de considérer cela comme un droit.
Les données montrent clairement que les sociétés qui adoptent des politiques de redistribution plus importantes, comme les pays nordiques, réussissent mieux à réduire les inégalités tout en maintenant une croissance économique solide. Ces exemples prouvent que la prospérité économique ne dépend pas nécessairement de l’accumulation de richesses par les plus riches, mais peut être renforcée par une distribution plus équitable des fruits de la croissance.
Un cercle vicieux d’inégalités
Le problème de « la théorie du ruissellement » est qu’elle s’accompagne d’un cercle vicieux où les inégalités économiques alimentent d’autres formes d’inégalités. Par exemple, les riches utilisent leur pouvoir économique pour influencer la politique et obtenir des avantages fiscaux ou réglementaires favorables qui consolident leur position dominante. Cela se traduit par une concentration toujours plus grande du capital, laissant moins d’espace aux nouvelles entreprises pour se développer et rivaliser.
L’influence excessive des élites économiques sur les médias contribue également à diffuser l’idée que les inégalités seraient un mal nécessaire pour stimuler l’innovation et la croissance. En glorifiant les « self-made men » et les « titans de l’industrie », on masque souvent les mécanismes structurels qui favorisent la concentration des richesses, tout en minimisant les inégalités croissantes.
Le ruissellement ou la dépendance ?
Si l’on s’en tient à « La théorie du ruissellement », il semble que le système fonctionne parfaitement : les riches s’enrichissent davantage, les inégalités se creusent, et les pauvres reçoivent quelques miettes généreuses. Les élites pourront continuer à affirmer que leurs succès profitent à tous, même si l’accroissement des inégalités suggère le contraire.
Pourquoi changer une formule qui permet aux privilégiés de continuer à prospérer aux dépens de la majorité ? Après tout, les miettes suffisent à calmer les esprits. Le ruissellement semble surtout être une manière élégante de justifier un système économique dans lequel les dés sont pipés en faveur des plus fortunés.
Plutôt que de considérer la croissance comme un phénomène globalement partagé, il serait pertinent de s’inspirer de la théorie sur « le développement inégal » de Samir Amin, qui souligne que le développement des pays centraux se fait au détriment des périphéries. Ainsi, à l’échelle nationale comme internationale, les inégalités persistent et se creusent, révélant les limites du système actuel et la nécessité de repenser la répartition des richesses pour éviter que le ruissellement ne devienne une illusion de justice économique et sociale.
En résumé, « La théorie du ruissellement » c’est l’art de faire croire aux pauvres qu’un système de goutte à goutte de miettes suffira à les nourrir, pendant que les riches festoient à la table du banquet.
À ce propos, le prix Nobel d’économie 2024 ressemble étrangement à un hommage posthume à Samir Amin- l’économiste que l’on n’a jamais jugé digne de ce prestigieux honneur. Pourtant sa théorie sur le « développement inégal » demeure plus pertinente que jamais, contrairement aux visions simplistes de ceux qui rêvent d’un mariage heureux entre démocratie et croissance économique. Il suffit de regarder du côté de la Chine pour voir à quel point ces idées romantiques s’effondrent face à la réalité : un contrexemple cinglant qui ne s’embarrasse guère des fables sur le développement harmonieux à l’occidentale.
La fin des partis classiques, vers un parti confédéral.
La fin des partis classiques, vers un parti confédéral.
Par
Jamel
BENJEMIA
Pendant des décennies, les partis politiques classiques ont façonné l’architecture de la démocratie, articulant la vie publique autour d’idéologies rigides et d’institutions solidement établies. Ce modèle, qui a structuré les débats politiques et les élections, s’est aujourd’hui essoufflé. Dans un monde en perpétuelle transformation, face à des enjeux sociaux, économiques et environnementaux complexes, ces partis peinent à apporter des réponses satisfaisantes. Ils sont souvent déconnectés des attentes des citoyens, enfermés dans leurs querelles idéologiques et internes.
En parallèle, des mouvements citoyens et des initiatives populaires ont vu le jour, cherchant à combler le vide laissé par ces structures vieillissantes. Cependant, ces mouvements, bien que dynamiques et engagés, manquent parfois de l’organisation et de la cohérence nécessaires pour obtenir des résultats durables. C’est dans ce contexte que naît l’idée d’un parti confédéral, un parti capable de réunir la société civile tout en respectant la diversité des opinions et des actions. Ce modèle permettrait de bâtir une structure plus souple, pragmatique et adaptable aux défis contemporains.
Cet article explore comment la transition vers un parti confédéral pourrait être une réponse aux limites des partis traditionnels et offre un espoir nouveau pour les jeunes générations, désireuses de voir un véritable changement.
L’épuisement des partis traditionnels
Les partis politiques, tels que nous les connaissons, ont émergé au XIXe siècle pour structurer la vie démocratique. Leur rôle était de représenter les intérêts des citoyens à travers des idéologies distinctes, offrant ainsi une voix aux différentes strates de la société. Toutefois, au fil du temps, ces structures se sont figées, devenant plus centrées sur elles-mêmes que sur les préoccupations des électeurs.
L’un des signes les plus frappants de cet épuisement est la montée de l’abstention. De plus en plus de citoyens, en particulier parmi les jeunes, choisissent de ne plus participer aux processus électoraux, estimant que les partis ne les représentent plus. Ce phénomène reflète une profonde crise de légitimité. Les débats idéologiques, autrefois sources d’inspiration et de mobilisation, semblent désormais vides de sens pour beaucoup, car ils ne répondent pas aux défis concrets de la vie quotidienne : crise climatique, inégalités sociales, précarité économique, etc.
Par ailleurs, les anciens clivages gauche-droite, qui structuraient autrefois la politique, apparaissent aujourd’hui obsolètes. Les partis traditionnels peinent à s’adapter à une réalité où les priorités des citoyens sont plus transversales et complexes. Leurs réponses sont souvent inadaptées ou insuffisantes, et les électeurs se détournent vers d’autres formes d’engagement.
L’essor des mouvements citoyens
En réponse à cette crise des partis traditionnels, les mouvements citoyens ont gagné en importance. Ces mouvements, souvent nés sur le terrain, loin des institutions politiques, sont portés par des causes spécifiques : la justice sociale, la lutte contre le réchauffement climatique, la défense des droits des minorités, etc. Ils se distinguent par leur flexibilité, leur horizontalité et leur capacité à mobiliser rapidement autour d’actions concrètes.
Les mouvements pour le climat, les marches féministes, les mobilisations contre les inégalités économiques sont autant d’exemples de la vitalité de ces initiatives. Ce qui attire particulièrement les jeunes dans ces mouvements, c’est leur capacité à donner un sens immédiat à l’engagement. Loin des discours théoriques ou des promesses électorales, ces initiatives offrent des actions concrètes, proches des réalités quotidiennes.
Cependant, bien que ces mouvements aient réussi à sensibiliser et à attirer l’attention sur des enjeux cruciaux, ils manquent souvent de structure et de continuité. Leur décentralisation, bien qu’elle soit une force, peut également être une faiblesse, rendant difficile la coordination et la mise en place de changements à long terme. Il est donc nécessaire de trouver un moyen d’organiser ces forces disparates de manière plus cohérente, tout en conservant leur dynamisme et leur diversité.
La nécessité d’un parti confédéral
Pour que les forces émergentes de la société civile puissent devenir une véritable alternative politique, elles doivent se structurer d’une manière nouvelle. C’est ici qu’intervient l’idée d’un parti confédéral, une structure qui pourrait réunir les différents mouvements, initiatives et associations sous une même bannière, tout en respectant leur autonomie et leur diversité.
Un parti confédéral se distingue par son approche souple et décentralisée. Contrairement aux partis traditionnels, qui imposent souvent une ligne idéologique stricte, un parti confédéral permettrait à ses composantes de conserver leur indépendance tout en coopérant sur des objectifs communs. Ce modèle offre une plateforme où la diversité des opinions et des approches est perçue comme une richesse et non comme un obstacle.
La nécessité d’un tel parti réside dans le besoin de donner un cadre durable et organisé aux initiatives citoyennes. Il ne s’agit pas simplement de remplacer les partis traditionnels par un autre type de structure hiérarchique, mais plutôt de créer un espace où les mouvements peuvent dialoguer, coopérer et mettre en œuvre des solutions concrètes. Le parti confédéral ne serait pas une organisation figée, mais un réseau dynamique, capable de s’adapter aux réalités locales et aux besoins spécifiques de chaque région ou groupe.
Ce parti confédéral permettrait ainsi de répondre aux grands défis de notre époque tout en restant ancré dans la réalité des citoyens. Il pourrait, par exemple, regrouper des initiatives sur la transition écologique, les droits sociaux, ou encore la gouvernance participative, tout en permettant à chaque groupe de poursuivre ses propres actions sur le terrain.
La clé du succès d’un parti confédéral
Le succès d’un parti confédéral repose avant tout sur sa capacité à rester pragmatique et centré sur des résultats concrets. L’un des principaux défauts des partis traditionnels est leur tendance à s’enfermer dans des débats théoriques et idéologiques, loin des préoccupations immédiates des citoyens. Un parti confédéral, en revanche, mettrait l’accent sur des solutions pratiques, des politiques publiques mesurables et des avancées tangibles.
Le pragmatisme n’est pas synonyme de compromis sur les valeurs fondamentales, mais plutôt de l’adaptation de ces valeurs aux réalités contemporaines. Un parti confédéral aurait pour mission de proposer des actions efficaces et applicables, qui apportent un changement réel dans la vie quotidienne des citoyens. Cela pourrait passer, par exemple, par des initiatives concrètes pour la transition écologique, comme la réorientation des subventions agricoles vers des pratiques durables, ou encore la promotion d’une économie circulaire et solidaire.
Une autre clé du succès réside dans la flexibilité. Contrairement aux partis classiques, souvent rigides, un parti confédéral serait capable de s’adapter rapidement aux nouveaux défis, tout en laissant une grande autonomie à ses composantes. Cette flexibilité permettrait de répondre à des crises imprévues, tout en conservant une vision cohérente à long terme.
Enfin, l’ouverture au dialogue et la capacité à rassembler des forces disparates seraient essentielles. Le parti confédéral ne chercherait pas à homogénéiser les idées, mais à créer un espace où différentes perspectives peuvent coexister et s’enrichir mutuellement. C’est en rassemblant ces énergies, en combinant diversité et cohérence, que ce modèle pourrait devenir une véritable alternative aux partis traditionnels.
Un espoir pour la jeunesse
L’épuisement des partis classiques et l’essor des mouvements citoyens nous rappellent que les formes traditionnelles de la politique ne suffisent plus. La nécessité d’un parti confédéral, capable de fédérer la diversité des initiatives tout en restant flexible et pragmatique, apparaît comme une solution viable pour répondre aux défis actuels.
Pour la jeunesse, qui cherche à s’engager dans des actions concrètes et significatives, ce modèle offre un nouvel espoir. Il propose un avenir où l’engagement citoyen ne se limite pas à une appartenance partisane rigide, mais se traduit par une participation active et diversifiée à la construction d’un monde plus juste et plus équitable.
Ainsi, la fin des partis traditionnels ne signifie pas la fin de la politique, mais l’émergence d’une nouvelle ère, où la société civile, organisée en un parti confédéral, peut jouer un rôle central dans la construction du futur. Ce parti incarne la possibilité de réinventer la démocratie, en la rendant plus ouverte, plus inclusive et plus efficace. Pour les jeunes générations, c’est l’occasion de participer à la création d’un monde qui leur ressemble, où la solidarité, la justice sociale et l’innovation sont les moteurs du progrès.
Réinventer la gestion de portefeuille, au-delà de l’efficience des marchés.
Réinventer la gestion de portefeuille, au-delà de l’efficience des marchés.
Par Jamel
BENJEMIA
Depuis la bulle des tulipes au XVIIe siècle jusqu’à l’effondrement du marché immobilier en 2008, les crises financières ont mis en lumière les failles de la théorie de l’efficience des marchés. Ce concept bien qu’élégant, semble ignorer les réalités chaotiques qui animent l’économie mondiale.
L’hypothèse d’efficience du marché, pierre angulaire de la finance moderne, a longtemps dominé la pensée économique en suggérant que les prix des actifs reflètent toujours l’information disponible, laissant peu de place à l’erreur ou à l’opportunité.
Pourtant, les crises financières, comme la bulle internet des années 2000 ou la crise des subprimes de 2008, ont révélé des fissures profondes dans cette sacro-sainte théorie.
Comment expliquer ces emballements irrationnels, ces chutes brutales, si les marchés sont supposés parfaitement efficients ?
Ces épisodes nous rappellent que l’économie est une science humaine, imprégnée d’incertitudes, de peurs et d’espoirs, que la mathématique ne saurait totalement capter.
À cela s’ajoute l’impact croissant des algorithmes, ces entités invisibles qui décryptent, analysent et réagissent en une fraction de seconde.
Leur émergence a transformé les marchés en un espace où l’efficience est soumise à la vitesse, créant des dynamiques nouvelles et souvent imprévisibles.
Les limites de l’efficience des marchés
En 2010, le « Flash Crash » a montré comment des algorithmes de trading haute fréquence peuvent provoquer des fluctuations erratiques en quelques minutes. Loin de renforcer l’efficience, ces algorithmes peuvent exacerber les inefficacités en amplifiant des mouvements erratiques, rendant les marchés plus volatils et parfois déconnectés des fondamentaux.
L’hypothèse d’efficience des marchés néglige aussi l’influence du comportement humain, ce facteur irrationnel qui défie toute logique économique rationnelle.
Les biais cognitifs, la panique et l’euphorie façonnent les décisions des investisseurs bien plus que ne le permettrait un modèle rationnel.
Considérez l’exemple de la bulle internet des années 2000 : les investisseurs emportés par l’euphorie de rater une opportunité, ont ignoré les fondamentaux économiques, gonflant ainsi les valorisations jusqu’à l’inévitable éclatement.
Enfin, l’émergence des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les décisions d’investissement bouleverse encore davantage cette hypothèse, introduisant des valeurs et des choix qui échappent à la simple analyse financière.
Ainsi, l’hypothèse d’efficience des marchés, bien que séduisante dans sa simplicité, se heurte aux complexités du monde réel, où les marchés loin d’être parfaitement efficients, sont un reflet imparfait des forces irrationnelles et des technologies qui les animent.
Le modèle B.A.S.E
Face à ces bouleversements, une nouvelle approche est nécessaire. Mon modèle B.A.S.E propose une nouvelle manière de gérer les portefeuilles en intégrant quatre dimensions clés qui reflètent la complexité actuelle :
Le comportemental (Behavioral) (B), l’algorithmique (Algorithmic) (A), le systémique (Systemic) (S), et ESG (Environmental, Social, Governance) (E).
Chacune de ces dimensions apporte une perspective unique et indispensable pour la prise de décision en matière d’investissement.
Là où Markowitz et ses successeurs se concentraient sur l’équilibre entre risque et rendement, B.A.S.E ajoute une couche de profondeur en tenant compte des biais cognitifs des investisseurs, du rôle prépondérant des algorithmes dans les fluctuations des marchés, des risques systémiques qui peuvent faire vaciller des économies entières, et des impératifs éthiques et durables que l’on ne peut plus ignorer.
La véritable nouveauté de B.A.S.E réside dans sa capacité à tisser ces éléments en une stratégie cohérente et résiliente.
Ce modèle ne cherche pas seulement à maximiser le rendement ajusté au risque, mais à construire un portefeuille qui reflète la complexité du monde actuel.
Formulation
Mon modèle B.A.S.E propose une formule de pondération des actifs dans le portefeuille, qui combine les quatre facteurs déjà mentionnés ci-dessus :
Bi : composante comportementale de l’actif i
Ai : composante algorithmique de l’actif i
Si : composante systémique de l’actif i
Ei : composante ESG de l’actif i
α, β,γ,δ : pondérations de composantes, ajustées selon l’importance relative de chaque facteur.
Le dénominateur de la formule Wi joue un rôle crucial dans la normalisation des pondérations individuelles des actifs, de manière à ce que la somme des pondérations Wi pour tous les actifs du portefeuille soit égale à 1, c’est-à-dire 100% du portefeuille. Cela garantit que chaque Wi est une proportion relative de l’ensemble du portefeuille, ajustable en fonction des priorités de l’investisseur (investisseur prudentiel ou aimant le risque).
Validation empirique et perspectives
Pour évaluer la robustesse du modèle B.A.S.E, une validation empirique est indispensable. Cette validation pourrait prendre la forme de « backtests » réalisés sur des données historiques couvrant plusieurs cycles économiques.
En appliquant B.A.S.E à un portefeuille diversifié, il serait possible de comparer ses performances à celles des modèles traditionnels comme Markowitz ou le Modèle d’Evaluation des Actifs financiers (CAPM).
Les résultats attendus devraient révéler une meilleure résilience aux crises systémiques, une réduction de la volatilité liée aux biais comportementaux, et une performance alignée avec les critères ESG, démontrant ainsi l’efficacité du modèle B.A.S.E dans un environnement complexe.
En termes de perspectives, le modèle B.A.S.E offre un cadre flexible, susceptible d’évoluer avec les marchés.
De plus, l’extension de ce modèle à d’autres classes d’actifs, comme les crypto-monnaies ou les investissements alternatifs, pourrait ouvrir de nouvelles voies pour une gestion de portefeuille encore plus diversifiée et résiliente.
Enfin, le modèle pourrait être un outil précieux pour les régulateurs, en leur fournissant un cadre pour évaluer la stabilité systémique et promouvoir les investissements durables dans un monde financier en mutation constante.
La mise œuvre du modèle B.A.S.E peut être optimisée grâce à l’intelligence artificielle (IA), qui permet de traiter et d’analyser d’immenses volume de données en temps réel. L’IA facilite l’ajustement dynamique des pondérations des composantes en fonction des évolutions du marché. Pour l’ESG, l’accent sur le bilan carbone offre une mesure claire et standardisée de l’impact environnemental, rendant l’intégration plus précise.
Enfin, en privilégiant les stratégies prudentielles dans la composante comportementale, le modèle renforce sa résilience face aux biais cognitifs, en alignant les décisions d’investissement avec une gestion des risques plus rigoureuse.
Réinventer la gestion de portefeuille
Imaginons un instant le modèle B.A.S.E à l’œuvre lors du Krach de 1929 : au lieu d’être surpris par la défaillance systémique, ce modèle aurait pu, grâce à ses curseurs de retournement et à ses composantes comportementales et systémiques, réduire les expositions aux actifs les plus vulnérables.
De même, durant l’éclatement de bulle technologique en 2000, B.A.S.E aurait pu avertir des surévaluations excessives, incitant à un rééquilibrage opportun des portefeuilles. Quant à la crise des subprimes de 2008, le modèle aurait, par sa prise en compte des signaux systémiques et des critères ESG, écarté les actifs toxiques liés à l’immobilier, minimisant ainsi les pertes.
Le modèle B.A.S.E n’est pas seulement un outil de gestion de crise. Il est le fruit d’une analyse minutieuse des échecs passés, intégrant les leçons du passé pour éclairer le présent.
Sa capacité à combiner des éléments aussi variés que le comportement des marchés, les signaux algorithmiques, les risques systémiques et les critères ESG, en fait un allié incontournable dans un environnement financier toujours plus complexe et incertain.
Adopter le modèle B.A.S.E, c’est accepter une nouvelle responsabilité dans la gestion de portefeuille. Ce n’est plus seulement chercher à battre le marché, mais comprendre que chaque décision d’investissement entraîne des répercussions qui dépassent les rendements financiers.
En réinventant la gestion de portefeuille avec ce modèle, nous posons les jalons d’une finance plus consciente, capable de résister aux crises tout en contribuant positivement à l’évolution de notre société.
En s’appuyant sur étude minutieuse des faiblesses des théories traditionnelles, B.A.S.E se positionne comme un modèle de gestion résolument moderne, capable non seulement de survivre aux crises, mais aussi d’anticiper les risques et de saisir les opportunités, réinventant ainsi la gestion de portefeuille pour l’avenir.
Le modèle B.A.S.E est comme un enfant prodige, né de quatre piliers de la finance internationale (comportemental, algorithmique, systémique et durable).
Chacun contribuant à son évolution pour façonner les marchés avec sagesse et résilience.
Vers un PIB intégrant l’immatériel
Vers un PIB intégrant l’immatériel.
Par
Jamel
BENJEMIA
Le Produit Intérieur Brut, longtemps perçu comme l’incarnation même de la croissance économique, apparaît aujourd’hui comme « un colosse aux pieds d’argile » dans le paysage des économies modernes.
Conçu dans les années 1930 par l’économiste Simon Kuznets, cet instrument était parfaitement adapté pour mesurer la production des biens tangibles, reflétant la vigueur des nations dans un monde industriel en pleine expansion.
Cependant, dans les sociétés contemporaines où l’intangible règne en maître absolu, le PIB révèle de plus en plus ses failles.
Prenons l’exemple de FaceBook : sa valeur intrinsèque réside dans les données qu’elle génère, les connexions qu’elle tisse et les services qu’elle offre gratuitement à des milliards d’utilisateurs. Pourtant, aucune de ces créations de valeur ne trouve une place légitime dans le calcul du PIB.
Le prix Nobel Robert Solow avait déjà prophétisé ce paradoxe en 1987 : « On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité ».
Alors que l’économie numérique redéfinit les contours de la croissance, le PIB persiste à ignorer cette richesse immatérielle, entraînant un décalage croissant entre les indicateurs traditionnels et la réalité contemporaine.
Les critiques académiques ne manquent pas. En 2009, à la demande du Président Sarkozy, Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi publient un rapport pour la Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social (CMPEPS).
Ils y dénoncent l’inadéquation du PIB pour appréhender la complexité des économies modernes. Ils soulignent notamment que le PIB, en se concentrant exclusivement sur la production marchande, néglige des dimensions essentielles telles que le bien-être, l’environnement, et surtout la création de valeur dans l’économie numérique. De fait, nombre de services immatériels échappent partiellement à cet indicateur désormais obsolète.
Le rapport, toutefois, s’est davantage attaché à explorer les dimensions multidimensionnelles du bien être qu’à élaborer des indicateurs correctifs pour un PIB prenant en compte la richesse immatérielle, respectant la lettre de mission initiale qui stipule : « déterminer les limites du Produit Intérieur Brut (PIB) en tant qu’indicateur de performance économique et de progrès social ».
Ainsi, à l’ère de l’économie numérique et des services, il devient urgent de réformer un PIB devenu anachronique, pour adopter un indicateur capable de prétendre au rôle de baromètre de la prospérité économique
PIB classique et PIB immatériel
Le Produit Intérieur Brut (PIB) classique a longtemps été érigé en pilier de l’évaluation de la richesse économique d’un pays. Ce modèle se concentre essentiellement sur la production de biens et de services tangibles, en mesurant la valeur ajoutée dans les secteurs traditionnels comme l’industrie, l’agriculture, et les services marchands. Cependant, à l’ère des économies numériques, cette approche montre ses limites et révèle des lacunes croissantes, notamment en négligeant les contributions immatérielles devenues cruciales.
L’essor des technologies numériques et l’omniprésence des services gratuits offerts par des plateformes comme Google et FaceBook illustrent de manière éloquente ces insuffisances.
Le PIB classique peine en effet à saisir la véritable valeur des innovations technologiques et des services numériques non monétisés, qui transforment en profondeur nos sociétés. Comme l’observe l’économiste Diane Coyle, « les moteurs de recherche gratuits, par exemple, échappent aux calculs traditionnels du PIB, créant un fossé significatif entre l’économie réelle, de plus en plus numérique et dématérialisée, et les méthodes de mesure classiques ».
Par ailleurs, l’importance croissante des actifs immatériels, tels que la propriété intellectuelle, les brevets et les marques, met en lumière les insuffisances du PIB traditionnel.
Bien que non matériels, ces actifs constituent des sources majeurs de création de valeurs dans les économies contemporaines. En ignorant ces contributions immatérielles, le PIB classique offre une image biaisée de la réalité économique, sous-estimant les secteurs les plus dynamiques et innovants.
Dès lors, continuer à se fier uniquement au PIB classique pour évaluer la richesse nationale n’est plus seulement une approche dépassée, mais devient également inadaptée dans un contexte où l’immatériel joue un rôle central dans la croissance économique.
Il est impératif de repenser nos indicateurs pour mieux refléter la complexité et la richesse de nos économies modernes.
Vers une révision du PIB
Je propose une approche inédite pour calculer le Produit Intérieur Brut (PIB) immatériel :
PIB immatériel = I+D+S
Cette formule se donne pour mission de capturer l’essence même des nouvelles sources de création de valeur dans notre économie moderne.
Ici, I représente la part de l’innovation mesurée par les investissements en recherche et développement, D désigne la valeur des données échangées et leur impact économique, et S se réfère aux services gratuits et leur valeur perçue.
Chaque composante est non seulement évaluée en termes financiers, mais aussi selon son impact réel sur le bien-être collectif, offrant ainsi une mesure plus humaine et plus juste de notre prospérité.
Ce nouvel indicateur transcende la simple mesure de ce que nous possédons pour englober ce que nous sommes en tant que société créative, connectée et tournée vers l’avenir.
L’introduction du PIB immatériel appelle ainsi à une révision de la formule du PIB total.
Cependant, lorsqu’on tente d’intégrer ces éléments immatériels dans la mesure traditionnelle du PIB, des risques de redondance ou de double comptage peuvent surgir.
Par exemple, les revenus publicitaires générés par une plateforme numérique peuvent déjà être inclus dans le PIB classique en tant que services commerciaux, tandis que la même plateforme pourrait également être comptabilisée dans le PIB immatériel pour sa capacité à collecter et traiter des données.
Si ces chevauchements ne sont pas correctement pris en compte, la mesure globale du PIB pourrait être faussée.
Pour pallier ce problème, il est crucial de soustraire ces redondances lors du calcul du PIB immatériel.
Ainsi, la formule du PIB total se définit de la manière suivante :
PIB total = PIB classique + PIB immatériel – Redondance
Pour simplifier, le PIB immatériel Net peut être défini comme étant le PIB immatériel après soustraction des redondances, ce qui donne la formule finale :
PIB total = PIB classique + PIB immatériel Net.
Cette approche permet d’obtenir une mesure plus précise et complète de la richesse économique, en veillant à ce que chaque contribution soit comptabilisée une seule fois, et reflétant ainsi fidèlement la véritable croissance économique.
À l'ère de l'intelligence artificielle et des modèles économétriques sophistiqués, cette proposition ouvre la voie à une compréhension plus fine des dynamiques économiques contemporaines, en réconciliant le tangible et l’immatériel dans un cadre unifié.
Cependant, l’hypothèse classique du « Ceteris Paribus », ce concept qui postule que « toutes choses égales par ailleurs », se heurte souvent à la réalité économique complexe où, en vérité, rien n’est jamais vraiment égal par ailleurs.
Bien que cette simplification soit utile pour modéliser certaines situations économiques, elle masque la dynamique réelle des marchés et des interactions humaines.
La création de nouvelles formules, comme celle proposée pour intégrer le PIB immatériel, nécessite donc un travail méticuleux d’adaptation et de raffinement pour refléter fidèlement les réalités du XXIe siècle.
Un exercice de révision et de dépoussiérage des raisonnements économiques traditionnels s’impose également.
Ces raisonnements, souvent hérités d’une époque où les structures économiques étaient plus simples et moins interconnectées, ne suffisent plus à comprendre et mesurer les phénomènes modernes.
Par exemple, l’ancienne hypothèse selon laquelle un agent économique qui épouse sa femme de ménage augmenterait son revenu disponible peut sembler aujourd’hui décalée.
Certes, ce revenu pourrait augmenter temporairement, mais cette vision simpliste néglige les complexités et les imprévus de telles décisions, tant sur le plan personnel qu’économique.
En somme, la création d’un PIB total intégrant les aspects immatériels doit dépasser les modèles traditionnels pour s’ancrer dans une compréhension plus holistique de la croissance économique.
C’est là un défi passionnant pour les économistes d’aujourd’hui : repenser les outils et les méthodes de mesure afin de capturer la véritable richesse des nations à l’ère de l’innovation et de l’économie numérique.