2025 : Le poids du présent, la chrysalide de l’avenir.
2025 : Le poids du présent, la chrysalide de l’avenir.
Par
Jamel
BENJEMIA
/image%2F3062509%2F20241229%2Fob_202d37_jb.jpg)
Le monde, tel un navire malmené par des tempêtes imprévues, entrevoit une accalmie fragile. Après des années marquées par des crises successives telles que la pandémie, les déséquilibres économiques et les bouleversements géopolitiques, l’économie mondiale semble se stabiliser. Pourtant cette éclaircie masque une houle profonde : celle des fractures grandissantes entre nations.
L’année 2024 a oscillé entre promesses et désenchantements. Tandis que les économies avancées retrouvent un semblant d’équilibre, les pays en développement s’enlisent dans un sable mouvant fait d’endettement, de pauvreté et d’instabilité. Cette disparité économique, exacerbée par les ravages du changement climatique et les inégalités sociales, projette une ombre menaçante sur l’horizon mondial.
Pourtant, sous cette ombre, l’espoir persiste. La Banque mondiale insiste sur la possibilité de relever ces défis, mais cela repose, à mon humble avis, sur deux piliers essentiels : la paix et la justice. Sans ces fondations, même les ambitions les plus grandes se briseront comme des vagues contre des récifs invisibles.
L’année 2025 apparaît comme un tournant historique, porteuse d’un double visage : l’espoir d’un redressement vers une prospérité plus inclusive et un contrat social renouvelé, mais aussi le danger de l’inaction face aux fractures mondiales et à l’urgence climatique. Tel un miroir, le monde reflète une réalité exigeant une réponse collective, immédiate et sincère.
Les blessures invisibles de la pauvreté
Derrière les chiffres glaçants - 700 millions de personnes vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté - s’écrit une tragédie humaine silencieuse. Chaque statistique dissimule des regards éteints, des mains tendues et des rêves avortés. La pauvreté dépasse l’absence de moyens. Elle s’insinue dans chaque recoin de l’existence, qu’il s’agisse d’une école trop lointaine, d’un puits tari ou d’un corps affaibli faute de soins. Ce fléau tentaculaire, où l’absence d’un droit finit par effacer tous les autres, frappe plus d’un tiers des habitants des pays à faible revenu, particulièrement en Afrique subsaharienne.
Face à cette réalité cruelle, l’espoir vacille mais ne s’éteint pas. Les 23,7 milliards de dollars mobilisés par l’Association Internationale de Développement, une branche du Groupe de la Banque Mondiale, constituent une promesse. Cependant, sans une volonté politique forte et une refonte audacieuse des structures économiques mondiales, ces efforts resteront vains. Chaque inégalité creuse un abîme, menaçant l’équilibre de notre humanité partagée.
L’ombre étouffante du changement climatique
L’année 2024 a vu la terre ployer sous les assauts incessants d’une nature en révolte : inondations dévastatrices, sécheresses implacables et cyclones violents. Mayotte, fragile perle de l’océan Indien, a récemment essuyé la furie du cyclone Chido. Jadis perçues comme des anomalies, ces catastrophes sont devenues des épisodes récurrents. Dans les régions à faible revenu, elles ne sont plus des intrusions passagères, mais un quotidien hostile. Chaque tempête menace de noyer l’espoir.
Malgré tout, une lueur persiste. Les 43 milliards de dollars mobilisés en 2024 par la Banque Mondiale pour l’action climatique incarnent une promesse. Cet effort, crucial mais insuffisant face à l’urgence. L’avenir exige une révolution des politiques et des pratiques : des stratégies audacieuses alliant résilience et sobriété carbone, mais surtout un engagement sincère envers les plus vulnérables, pour qu’ils ne soient pas engloutis par les vagues d’un dérèglement climatique qu’ils subissent bien plus qu’ils ne l’ont provoqué.
Le poids écrasant de la dette
Dans les pays en développement, la dette dépasse la froideur des chiffres pour devenir une ombre pesante, étouffant chaque tentative de progrès. À la fin de l’année 2023, elle atteignait la somme vertigineuse de 8 800 milliards de dollars, un montant abyssal qui pèse sur des épaules déjà fragiles. Ce lourd tribut ne se contente pas d’immobiliser ; il prive des millions d’enfants de bancs d’école, abandonne des malades dans les couloirs des dispensaires et transforme des rêves collectifs en mirages lointains. La dette mondiale écrase les individus bien avant de peser sur les États.
Mais derrière ce poids chiffré se cache une autre vérité, celle de l’absence cruelle d’une gouvernance mondiale juste et visionnaire. Les règles du jeu financier, écrites pour servir les intérêts des plus puissants, maintiennent ces nations dans une spirale d’étouffement. Une gestion de la dette plus transparente, telle que promue par la Banque mondiale, est une lueur dans l’obscurité, mais elle reste insuffisante.
L’heure n’est plus aux demi-mesures. Ce fardeau universel exige une réponse audacieuse qui repose sur une coopération internationale réinventée, guidée par la solidarité et l’équité. Seule une répartition plus juste des ressources et des responsabilités peut briser ces chaînes invisibles et libérer un avenir plus lumineux.
L’héritage fragile des générations futures
Les enfants d’aujourd’hui hériteront des choix façonnés pour 2025. Pourtant pour beaucoup, leur destin semble déjà compromis, enlisé dans les lacunes du présent. Dans les régions les plus vulnérables du globe, leur avenir s’écrit sur un parchemin troué, où manquent des données essentielles, des chiffres pourtant vitaux pour bâtir des politiques éclairées. En Afrique subsaharienne, plus de la moitié des pays enregistrent moins de 40 % des naissances. L’absence de registres de naissance prive des millions d’enfants de reconnaissance officielle et de droits essentiels, les reléguant à une existence précaire, dépourvue de protection et d’opportunités.
La Banque mondiale, consciente de ces lacunes béantes, s’efforce de combler le vide, mais son action ne peut être qu’un vœu pieux. Il revient aux États eux-mêmes de raviver cette flamme vacillante, en inscrivant la collecte de données au cœur de leurs priorités. Car sans ces fondations solides, les promesses d’un avenir meilleur resteront de fragiles illusions, emportées par les vents du désintérêt. L’urgence est là, celle de donner à chaque enfant une place dans l’histoire et une chance dans la vie.
Grâce à une politique de digitalisation ambitieuse, le Rwanda est parvenu à relever le défi crucial de l’enregistrement des naissances. Que cet exemple éclairant serve d’inspiration aux autres nations africaines.
Mais, une autre réalité vient assombrir le tableau. L’année 2024 a révélé une vérité insoutenable : la guerre à Gaza surpasse désormais les maladies comme première cause de la mortalité infantile.
Chaque bombe, chaque tir, détruit bien plus qu’une vie ; il anéantit des générations, brise des avenirs et assombrit l’humanité tout entière.
Entre dangers et promesses
L’année 2025 s’avance, tel un funambule suspendu entre les gouffres du danger et les cimes de l’espérance. Sur son fil fragile dansent les grands défis de notre temps : abolir la pauvreté qui ronge les âmes, apaiser un climat en furie, alléger le joug écrasant des dettes et forger des sociétés où règnent enfin l’égalité et la justice. Ces épreuves, vastes comme des océans, ne sont pourtant pas des murs infranchissables, mais des appels à réinventer le monde.
La paix et la justice, ces étoiles trop souvent voilées par les intérêts immédiats, doivent guider les décisions judicieuses. Comme l’a rappelé le Président de la Banque Mondiale Ajay Banga, « les prévisions ne sont pas gravées dans la pierre ». L’avenir est une argile malléable, façonnée par chaque résolution. En 2025, chaque choix peut devenir une brique pour combler les fractures ou un éclat qui approfondit les failles.
À l’aube de cette année décisive, l’humanité se trouve face à son propre miroir. Les épreuves qui s’amoncellent ne laissent aucune place à l’inaction : 2025 doit être l’année des décisions courageuses et des engagements concrets. La COP30, prévue au Brésil, sera l’occasion de renforcer les ambitions climatiques et d’adopter des mécanismes de financement adaptés aux pays les plus vulnérables. Parallèlement, les prochaines assemblées du G20 et des Nations Unies offriront des plateformes pour réformer la gouvernance mondiale, alléger le poids insoutenable des dettes et garantir un accès équitable aux ressources essentielles.
Le chemin est étroit, comme une crête fragile, mais il conduit, pour ceux qui oseront s’y aventurer, vers un horizon où le danger devient semence et l’espoir, récolte promise. Ce tournant est une épreuve, un test ultime de notre capacité collective à transformer les promesses en actions, à bâtir un avenir plus juste, plus humain et véritablement durable.
La « destruction créatrice » : Au creuset des ruines, la forge des renaissances.
La « destruction créatrice » :
Au creuset des ruines, la forge des renaissances.
Par
Jamel
BENJEMIA
/image%2F3062509%2F20241222%2Fob_c3a1ca_jb.jpg)
Il est des révolutions qui éclatent dans le fracas des machines. À l’inverse, d’autres, plus insidieuses, avancent à pas feutrés, mues par le bal silencieux des algorithmes. À l’aube du siècle vert et du règne de l’intelligence artificielle, une double métamorphose s’amorce. Tandis que les lignes de code réécrivent le lexique du travail, les lueurs du solaire et le souffle de l’hydrogène abattent les vieilles charpentes industrielles. Ce bouleversement ne se limite pas à poser des briques neuves sur des fondations érodées, il en refond la matière au cœur de la transformation. Ainsi s’incarne, au fil de ces ruptures, le dessein schumpétérien de la « destruction créatrice ».
Mais chaque forge exige son tribut. Là où naissent les promesses d’efficacité et de durabilité se perdent des savoir-faire séculaires et des métiers jadis florissants. Là où surgissent les méga-usines de batteries électriques et les hubs de l’intelligence artificielle, se creusent en miroir des friches territoriales et des asymétries de pouvoir. Le progrès se fait combat : la « destruction créatrice » d’aujourd’hui reste-t-elle fidèle à sa promesse d’hier ? Ou bien court-elle le risque de devenir une destruction sans lendemain, sèche et brutale si elle n’est pas guidée par une gouvernance éclairée ?
Entre l’élan de l’espérance et le poids de la rupture, se joue une bataille cruciale : celle de savoir si le futur qui s’ouvre sera, au fond, créateur ou non.
Comprendre la « destruction créatrice »
Pour mieux saisir le sens profond de ce tourbillon de ruptures, il convient d’abord de revenir à l’essence même du concept forgé par Joseph Schumpeter. La « destruction créatrice » ne se contente pas de secouer l’ancien monde : elle le renverse pour instaurer un ordre inédit. Ce prisme projette une lumière crue et implacable sur les bouleversements en cours sous l’effet conjugué de l’Intelligence Artificielle (IA) et de la transition énergétique.
Là où l’IA automatise la décision et simule l’imprévisible, les énergies vertes refondent l’architecture énergétique des économies mondiales. Ce double mouvement incarne l’essence même de la « destruction créatrice ». Il abat les métiers routiniers, ensevelit des savoir-faire techniques et emporte des filières entières dans le vent de l’obsolescence. Toute fin porte en elle la promesse d’un commencement. De nouveaux métiers émergent, tels que les experts en mégadonnées, les éthiciens de l’intelligence artificielle, les ingénieurs de l’hydrogène ou les techniciens du recyclage des panneaux solaires.
Ainsi, ce cycle, à la fois inexorable et fécond, redessine les contours d’un avenir où chaque ruine devient la graine d’un renouveau, tel un sol fertile des forêts calcinées où germent de jeunes pousses.
Pourtant, Schumpeter lui-même n’avait pu prévoir la fulgurance des bouleversements contemporains. Là où les anciennes révolutions industrielles s’étiraient sur des décennies, l’IA et la transition verte forcent les entreprises à se réinventer en un éclair. La course est d’autant plus âpre pour les travailleurs, dont les compétences s’érodent plus rapidement qu’ils ne peuvent les renouveler. Il ne s’agit plus de tourner une page, mais de changer tout le livre. C’est un saut d’époque, et non un simple saut de chapitre.
Ces ruptures ne se limitent pas au champ économique. Elles touchent la sphère sociale, creusent les inégalités et polarisent le marché du travail.
Opportunités et risques
À ce stade, la question de savoir si la « destruction créatrice » actuelle sert le progrès collectif ou renforce le pouvoir de quelques acteurs dominants trouve une réponse ambivalente. Certes, l’IA et la transition énergétique ouvrent des horizons immenses, mais dans leurs sillages se cachent les embryons d’un déséquilibre. L’enjeu, dès lors, n’est pas de subir cette transformation, mais de l’orienter.
D’une part, des perspectives lumineuses se profilent. Les énergies vertes offrent la promesse d’une souveraineté énergétique recouvrée, libérant les nations de leur dépendance aux hydrocarbures importés. Les réseaux électriques intelligents (Smart Grids) transforment l’intermittence des énergies renouvelables en atout de flexibilité. L’IA optimise la maintenance prédictive, affûte la gestion des flux d’énergie et ouvre la voie à de nouveaux marchés, qu’il s’agisse de mobilités intelligentes, d’agriculture de précision ou de médecine personnalisée. Ces innovations, loin de se limiter au domaine économique, posent les fondations d’une nouvelle soutenabilité environnementale.
D’autre part, l’envers du tableau se fait plus sombre. L’IA, concentrant les profits dans les mains de quelques géants technologiques, instaure un régime de quasi-féodalité économique, où les seigneurs du numérique règnent sur des foules de précaires. La transition énergétique désosse les bastions industriels du passé, transformant certains territoires en déserts d’emploi. La promesse de reconversion se heurte au mur de la réalité, bien plus rude que les engagements initiaux ne l’avaient laissé espérer. La destruction est immédiate, la création, incertaine et différée. Ce décalage temporel amplifie la précarité et le délitement social.
À la croisée de l’économique et du politique se joue un risque fatal. Le danger, ici, est de confondre la marche et la chute, de croire qu’on avance alors qu’on vacille. Car livrer la « destruction créatrice » à la « main invisible » du marché, c’est courir le risque d’une destruction sèche où seuls les plus agiles survivent. À l’inverse, une gouvernance éclairée, capable d’orienter la transition, de la baliser par des régulations et des soutiens ciblés, peut faire de ce tumulte une symphonie. L’avenir, alors, ne serait plus le domaine réservé de quelques privilégiés, mais le bien commun d’une société en mouvement.
Vers une gouvernance éclairée
Or, si la « destruction créatrice » se veut moteur du progrès, elle ne saurait se réduire à une dynamique aveugle et incontrôlée. La question n’est plus de savoir si l’on doit accompagner cette transformation, mais comment la gouverner pour qu’elle profite au plus grand nombre.
Pour répondre à cet enjeu, trois piliers doivent structurer l’action : former, réguler, inclure.
La première exigence est celle de la formation et de la reconversion. Face à l’obsolescence rapide des compétences, il ne suffit plus de « laisser faire » mais il faut « faire savoir et faire savoir faire ». La formation continue doit s’ériger en droit imprescriptible, fil d’Ariane tissé tout au long de la vie. Elle offre à chacun la chance de s’orienter au gré des vents du changement et d’accoster sur les rivages des filières d’avenir. Les entreprises, quant à elles, doivent être tenues à un devoir de requalification active.
Réguler les acteurs dominants, c’est poser la clé de voûte de cet édifice fragile. Les grands groupes, qui contrôlent les algorithmes et les plateformes d’intelligence artificielle, doivent être soumis à des obligations de transparence et de partage des bénéfices. Les champions de la transition énergétique ne peuvent capter seuls les rentes issues de la révolution verte. Par la fiscalité, la régulation de la concurrence ou la conditionnalité des subventions, il s’agit de soustraire le progrès à l’hégémonie de quelques-uns.
Enfin, la gouvernance ne peut se faire sans sincérité et inclusion. Les populations, souvent exclues des décisions, doivent devenir des parties prenantes réelles des transformations. Cela suppose la fin des alibis démocratiques où les consultations ne sont que de façade. Une gouvernance sincère implique de reconnaître les coûts du changement, de les partager équitablement et de faire des citoyens des acteurs, et non des spectateurs.
Il est des feux qui consument et des feux qui éclairent.
La « destruction créatrice » à l’ère de l’intelligence artificielle et des énergies vertes oscille entre ces deux flammes. Elle brûle les certitudes, efface les frontières du possible et délaisse des métiers, des terres et des hommes. Mais elle éclaire aussi les sentiers d’une réinvention. Entre brasier et flambeau, le choix ne peut être laissé au hasard.
L’histoire ne se souvient jamais des spectateurs, mais des faiseurs : ceux qui transforment la rupture en renaissance. Ne laissons pas l’ère de l’IA et des énergies vertes se lire comme une disparition. Faisons d’elle le roman d’une réinvention, et non l’épitaphe d’une époque révolue.
C’est à nous, acteurs de ce monde en mutation, de choisir entre une route de déclin ou de régénération, entre un avenir qui consume ou celui qui éclaire.
Gouverner le chaos : De l’alibi démocratique à l’architecture de convergences.
Gouverner le chaos :
De l’alibi démocratique à l’architecture de convergences.
Par
Jamel
BENJEMIA
/image%2F3062509%2F20241215%2Fob_4a2505_jb.jpg)
Le monde vacille au bord de l’indécision. Face au chaos grandissant, l’ancienne grammaire de la gouvernance internationale ne suffit plus. Les crises ne s’enchaînent pas, elles s’entrelacent. Elles tissent une toile d’incertitudes où chaque fil tendu — qu’il soit climatique, sanitaire, économique ou géopolitique — fait vibrer l’ensemble. Cet enchevêtrement n’a rien d’un décor figé ; il est mouvant, réactif, imprévisible. Un battement d’ailes au Sahel, et l’écho se fait sentir à Wall Street.
Ce frémissement global exige une réponse à la hauteur de l’époque. Or, la gouvernance actuelle, héritée de l’après-guerre, ressemble à un langage oublié, parlé par des institutions qui peinent à se faire entendre dans le tumulte des nations en repli. Des tours de verre se lèvent, mais les idées peinent à y trouver un abri.
Jean Pisani-Ferry, économiste français, et George Papaconstantinou, ancien ministre grec, exposent dans leur ouvrage « les nouvelles règles de jeu : comment éviter le chaos planétaire », publié aux éditions du Seuil le 18 octobre 2024, une vision audacieuse de la gouvernance mondiale. Leur approche repose sur la nécessité de réinventer les mécanismes de coopération internationale, en s’appuyant sur quatre piliers essentiels : l’intégration des expertises scientifiques, la contrainte politique, le contrôle des engagements et le financement durable des actions collectives. Cette refonte vise à renforcer l’efficacité et la crédibilité des institutions face aux défis globaux.
Pourtant cette transformation ne se fera pas sans heurts. Elle implique un partage du pouvoir entre les grandes puissances et les pays du Sud global, et surtout, une remise en question des pratiques actuelles, où les droits humains et la démocratie sont souvent instrumentalisés pour des objectifs géopolitiques inavoués.
Le décalage entre les défis globaux et la gouvernance mondiale
La gouvernance internationale, en retard d’une guerre, se contente trop souvent de réagir au lieu de prévenir. Ce décalage temporel s’explique par la lenteur des négociations diplomatiques, les compromis laborieux entre puissances rivales et l’incapacité des institutions à anticiper les chocs. Or, dans un monde où les crises se propagent à la vitesse des algorithmes, il est illusoire de croire que des structures bureaucratiques figées dans le marbre de l’après-guerre puissent affronter les dynamiques fulgurantes du XXIe siècle. Ce temps suspendu de la décision internationale est devenu l’ennemi principal de la stabilité mondiale.
La crise du Covid-19 en est une illustration emblématique. Malgré le consensus scientifique sur la nécessité d’une réponse mondiale, les États se sont précipités pour sécuriser des vaccins, souvent au détriment des pays les plus vulnérables. Ce manque de coordination et de solidarité montre que les mécanismes de gouvernance actuels ne suffisent plus. Pisani-Ferry et Papaconstantinou insistent sur la nécessité de substituer la réaction à l’anticipation, en favorisant une coopération véritablement globale, et non plus fragmentée par des intérêts nationaux.
Une nouvelle architecture pour la gouvernance mondiale
Face aux défis complexes du XXIe siècle, l’architecture de la gouvernance mondiale doit être réinventée. Plus question de superposer des institutions cloisonnées. Il s’agit désormais de concevoir une architecture de convergences, où chaque pilier- science, contrainte politique, contrôle des engagements, financement pérenne- s’entrelace avec les autres. L’image n’est plus celle d’un édifice en silos, mais celle d’un système rhizomatique, où les flux circulent librement d’un axe à l’autre.
La centralisation de l’expertise scientifique ne doit plus se limiter à la production de rapports consultatifs. À l’image du rôle du GIEC dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’expertise scientifique doit devenir prescriptive. Elle ne peut plus être une voix parmi d’autres, mais doit devenir une boussole normative, éclairant des choix où l’irréversibilité des décisions (biodiversité, santé publique) impose une action rapide.
Les négociations internationales actuelles, trop souvent figées dans des engagements déclaratoires, ont montré leurs limites. Les conférences internationales (COP) illustrent cette « liturgie des engagements ajournés ». Pour rompre avec cette logique, il est nécessaire d’introduire des accords juridiquement contraignants. Des modèles inspirés des régulations bancaires (comme le Comité de Bâle) pourraient servir de référence : des obligations de résultats, des sanctions en cas de non-respect et une surveillance continue.
Le contrôle des engagements est le garde-fou de la crédibilité. Sans suivi ni vérification, les engagements restent des promesses vides. Ce contrôle doit s’appuyer sur des institutions indépendantes, capables d’auditer et de rendre accessibles les écarts entre les promesses et les réalisations. Des outils inspirés des agences de notation climatique pourraient jouer ce rôle, instaurant une nouvelle culture de la « redevabilité ».
Enfin, aucune réforme ne peut se faire sans des moyens financiers à la hauteur des ambitions. Les actions collectives (transition énergétique, résilience sanitaire) butent trop souvent sur l’argument du « manque de moyens ». Pour briser cette barrière, il devient crucial de mettre en place des mécanismes de financement globaux, alimentés par des contributions obligatoires des États, des taxes sur les transactions numériques ou encore des prélèvements sur les émissions de CO2. Ce financement pérenne doit rompre avec la logique du « chacun pour soi », instaurant un fonds solidaire d’envergure mondiale.
De l’alibi démocratique à la sincérité des pratiques mondiales
Les interventions internationales se drapent souvent dans le noble manteau de la démocratie et des droits humains. Mais, sous la toge des valeurs universelles, se cachent des stratégies d’influence. Ce double langage, où l’on prône des principes tout en poursuivant des objectifs de puissance, érode la crédibilité des institutions. Les peuples ne sont plus dupes. Ils savent que les grands idéaux exportés servent souvent de chevaux de Troie géostratégiques.
La guerre en Syrie en est un exemple frappant. Présentée au départ comme un soulèvement populaire contre un régime dictatorial, elle est devenue un échiquier où se croisent les ambitions des grandes puissances. La Syrie est la pièce sacrifiée d’un jeu plus vaste, où se négocient des positions sur l’Ukraine et l’Iran.
Ce constat dépasse de loin le cas syrien. En Afghanistan, en Libye, en Irak ou en Afrique subsaharienne, la rhétorique humanitaire a souvent dissimulé des stratégies de domination. Ce déclin de la crédibilité est le tribut de l’hypocrisie, un coût politique que les institutions internationales ne peuvent plus se permettre de payer.
Vers une gouvernance mondiale sincère et radicale
Les défis du XXIe siècle ne tolèrent plus les demi-mesures. Le changement climatique, les inégalités criantes, les crises migratoires exigent des réponses solides et cohérentes. La sincérité devient le moteur de la légitimité internationale. Il ne s’agit pas de réformer, mais de refonder.
Chaque hypocrisie dévoilée érode l’autorité des institutions, chaque engagement non tenu l’achève. Les peuples, dans un monde ultra-connecté, voient, jugent et se souviennent. Le temps où l’on sous-estimait l’intelligence collective des populations est révolu. Seule une gouvernance sincère, où l’alibi démocratique cède la place à une politique assumée, peut restaurer la légitimité des institutions.
Le changement ne viendra pas d’en haut. Ce ne sera ni un don des puissants ni une faveur des institutions. Il surgira des crises et des révoltes silencieuses des peuples. Cette loi d’airain, selon laquelle les institutions ne changent qu’au pied du mur, s’impose aujourd’hui.
D’une contrainte imposée à un horizon partagé
Les nouvelles normes de gouvernance mondiale ne devront plus être un « fardeau à évacuer », ni le « voyageur clandestin » des puissants, mais « l’horizon ouvert » où chaque peuple, maître de son destin, forge son avenir. Seule une gouvernance plus juste, plus efficace et plus respectée pourra rendre aux institutions internationales la force d’action nécessaire.
À l’ère des interdépendances radicales, gouverner le chaos, ce n’est plus le contenir, mais en faire le levier d’une harmonie inédite.
L’architecture de convergences doit reposer sur des fondements plus profonds : la sincérité des engagements, la crédibilité des acteurs et la volonté authentique de bâtir un monde meilleur.
L’économie à l’épreuve du réel : Toute chose n’étant pas égale par ailleurs.
L’économie à l’épreuve du réel :
Toute chose n’étant pas égale par ailleurs.
Par
Jamel
BENJEMIA
/image%2F3062509%2F20241208%2Fob_f95b9e_jb.jpg)
Juchée sur les échafaudages fragiles du raisonnement humain, l’économie s’est, depuis ses origines, dotée d’outils méthodologiques visant à apprivoiser la complexité du réel. Parmi eux, le « ceteris paribus », cette formule latine signifiant « toutes choses étant égales par ailleurs », s’est imposée en pierre angulaire de la pensée économique.
En isolant certaines variables, le « ceteris paribus » a permis de disséquer les mécanismes sous-jacents aux marchés, facilitant l’émergence des concepts clés tels que l’offre et la demande.
Toutefois, cette simplification, si elle éclaire certains mécanismes, devient problématique lorsqu’elle est appliquée à des systèmes dynamiques et interconnectés. Des modèles comme le multiplicateur budgétaire keynésien ou la courbe IS-LM, fondés sur des hypothèses statiques, ont souvent occulté la dynamique réelle des économies complexes. Les politiques de « Stop and Go », issues de ces visions simplifiées, illustrent les limites d’une telle approche, menant fréquemment à des résultats contradictoires et inefficaces.
Cependant, dans un monde où les interdépendances tissent des toiles de plus en plus complexes, ce postulat vacille. Jadis, un outil d’éclairage, le « ceteris paribus » devient parfois un masque d’aveuglement. Comment espérer isoler une variable dans un univers où chaque élément influe sur l’ensemble, où l’effet papillon n’a plus rien d’une simple métaphore, mais s’affirme comme une réalité tangible ? L’économie d’aujourd’hui doit dépasser ces simplifications et embrasser la complexité qu’elle tente d’analyser, quitte à réinventer ses propres méthodes.
L’élégance trompeuse
Le « ceteris paribus » a séduit les économistes par son élégance. En immobilisant certains paramètres, il offrait une épure conceptuelle, propice à la modélisation de relations causales. La loi de l’offre et de la demande repose sur cette hypothèse : seule la variation des prix influencerait les quantités échangées.
Pourtant, cette élégance est trompeuse. Vouloir appliquer le « ceteris paribus » au réel revient à figer le mouvement des vagues pour mieux comprendre l’océan. Une hausse du prix du pétrole, par exemple, ne se résume pas à un simple renchérissement des coûts de production : elle bouleverse les politiques énergétiques, redéfinit les équilibres géopolitiques et modifie en profondeur les comportements des ménages. L’embargo de l’OPEP de 1973 ne fut pas seulement un choc pétrolier ; il inaugura un tournant stratégique, précipitant des mutations industrielles et politiques majeures.
Les théories monétaires classiques ont abusé de cette hypothèse. La célèbre courbe de Phillips, qui établit une relation inverse entre chômage et inflation, repose sur une vision statique du monde. Mais les années 1970 ont balayé cette certitude avec l’émergence de la stagflation, cette coexistence paradoxale d’une inflation élevée et d’un chômage massif. Pour expliquer ce phénomène, il a fallu intégrer de nouvelles notions : les anticipations des agents, les chocs d’offre exogènes, et surtout les effets de second tour. Parmi eux, la spirale prix-salaires s’est transformée en une véritable course-poursuite, où chaque hausse de prix entraîne une revendication salariale, nourrissant ainsi l’inflation dans une boucle sans fin.
L’interdépendance des variables
Aujourd’hui, l’économie est un réseau dense d’interactions où rien ne peut être isolé. La pandémie de COVID-19 en est une démonstration éclatante. Ce choc sanitaire, exogène à l’économie à première vue, a déclenché une cascade d’effets : chaînes d’approvisionnement désorganisées, effondrement de certains secteurs, envolée des dettes publiques et révisions stratégiques à l’échelle mondiale. À chaque étape, de nouvelles variables apparaissent, rendant toute simplification illusoire.
Les marchés financiers illustrent également cette interdépendance généralisée. La crise de 2008, née des subprimes aux États-Unis, s’est rapidement propagée à l’ensemble du secteur bancaire mondial. Ce que le « ceteris paribus » ne peut saisir, c’est cette contagion systémique, accentuée aujourd’hui par les algorithmes de trading. Réagissant en temps réel à une multitude de signaux, ces outils amplifient la volatilité et rendent les marchés plus imprévisibles que jamais.
Les crises contemporaines offrent de nouvelles preuves des limites des modèles économiques traditionnels. Le conflit au Moyen-Orient illustre l’imbrication complexe des dynamiques politiques, sociales et économiques, peu ou mal appréhendées par les modèles linéaires. Simultanément, les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine redéfinissent non seulement les chaînes d’approvisionnement, mais aussi les rapports de force géopolitiques et technologiques, bousculant des paradigmes établis et entraînant des reconfigurations profondes dans les alliances internationales, avec l’avènement des BRICS, qui remettent en cause l’hégémonie traditionnelle et redessinent les contours de l’ordre mondial.
L’invasion de l’Ukraine, elle aussi, a révélé les failles des modèles classiques, incapables d’anticiper des effets domino d’une telle ampleur. Loin des simples ajustements de marché, l’envolée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires a bouleversé les équilibres géopolitiques et exacerbé les tensions sociales. Ce choc a illustré la nécessité de repenser nos outils pour intégrer les risques systémiques et les interdépendances globales.
L’élasticité-prix : un concept à réviser
L’élasticité-prix, fondée sur l’idée d’une réponse linéaire et prévisible de l’offre ou de la demande, montre aujourd’hui ses limites.
Par exemple, la demande en énergie dépend autant de facteurs géopolitiques et écologiques que des prix. De même, l’offre agricole est influencée par des aléas climatiques et des pratiques commerciales, bien au-delà des simples ajustements tarifaires.
La simplicité du « ceteris paribus » masque désormais les frictions et les non-linéarités d’un monde complexe. C’est là que les modèles dynamiques prennent tout leur sens, en embrassant l’imprévisibilité plutôt que de la nier.
Les travaux de l’économie comportementale ont montré que les consommateurs ne réagissent pas toujours de manière rationnelle. Une hausse des prix peut, par exemple, provoquer des comportements de panique ou des phénomènes de substitution imprévus, amplifiant les distorsions initiales.
Récemment, certains grands groupes ont subi les conséquences de politiques de boycott liées à la guerre au Moyen-Orient. Ces campagnes, souvent reliées par les médias sociaux, illustrent le poids croissant de l’opinion publique, et révèlent des dynamiques sociales et politiques qui échappent aux cadres d’analyse économiques traditionnels.
L’élasticité-prix rappelle que, dans un monde aussi imprévisible, le « ceteris paribus » revient à étudier un orage avec un parapluie troué.
Penser autrement
Face à ces défis, une réinvention des outils économiques s’impose. Mon modèle BASE (Behavioral, Algorithmic, Systemic et ESG) répond à cette nécessité, en associant des modèles économétriques dynamiques aux biais comportementaux, aux algorithmes et aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. En dépassant les simplifications traditionnelles, BASE offre une lecture multidimensionnelle des phénomènes économiques, essentielle pour anticiper les ruptures et bâtir la résilience.
L’économie contemporaine doit dépasser les simplifications héritées du passé. À l’image du débat philosophique sur la complexité et le réductionnisme, une question fondamentale se pose : faut-il simplifier pour comprendre, ou accepter l’incertitude comme une donnée essentielle ?
Dans le monde scientifique, le réductionnisme, en isolant les éléments pour en décrypter les relations causales, a longtemps dominé. Mais face à des systèmes complexes, où chaque composante influe sur l’ensemble, il s’avère insuffisant. L’approche systémique, en revanche, privilégie une vision holistique des interactions dynamiques, mettant en lumière les rétroactions, les effets domino et les non-linéarités.
L’économie, à son tour, doit embrasser cette complexité. Les outils analytiques comme les modèles VAR (Vector AutoRegression) répondent à cette nécessité. En captant les relations dynamiques entre multiples variables sans les isoler artificiellement, ces modèles révèlent des effets de propagation et des boucles rétroactives que les approches statiques ignorent. Ils permettent ainsi de mieux comprendre des crises globales, comme la pandémie de COVID-19 ou la guerre en Ukraine, en identifiant les interconnexions invisibles mais déterminantes.
Ainsi, l’économie peut redevenir un guide éclairé pour la prise de décision dans un univers marqué par des interdépendances croissantes. Car dans un monde où toute chose n’est décidément plus égale par ailleurs, prendre en compte les interactions systémiques n’est pas seulement un impératif, c’est une opportunité pour bâtir des modèles résilients et inclusifs. Plutôt que de simplifier le réel, l’économie de demain pourrait choisir de coévoluer avec lui, acceptant l’incertitude comme une richesse plutôt qu’un obstacle.
Dans ce monde où tout est de plus en plus interconnecté, les anciens modèles ne suffisent plus. Le système mondial, dans sa quête d’équilibre, montre que les règles d’hier n’ont plus cours. « Omnia mutantur, nihil interit » — tout change, mais rien ne périt, sauf peut-être l’illusion que tout demeure inchangé ailleurs.
L’économie en quête de sens : Une allégorie au chevet du monde.
L’économie en quête de sens :
Une allégorie au chevet du monde.
Par
Jamel
BENJEMIA
/image%2F3062509%2F20241201%2Fob_16c9cf_jb.jpg)