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La Tunisie face à la recrudescence de la violence : Comprendre les blessures pour panser la société.

20 Avril 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS du 20/04/2025 Publié dans #Articles

La Tunisie face à la recrudescence 
de la violence : 
Comprendre les blessures pour panser la société.

Par

Jamel

BENJEMIA                                
                

                                                   

La Tunisie traverse une période critique, marquée par une recrudescence de la violence qui glace les cœurs et trouble les consciences. En l’espace d’une semaine, cinq assassinats ont ébranlé le pays. Une jeune fille a tué sa colocataire dans un accès de rage. Un jeune homme de Menzel Jemil est mort à la suite d’une rixe entre pairs. À Menzel Bouzaiane, un autre jeune a été retrouvé sans vie derrière un lycée. À cela s’ajoute un drame conjugal : un homme ayant tué son épouse a été retrouvé pendu dans une maison isolée. Autant de faits divers que de vies brisées, autant d’alertes que le silence ne saurait plus étouffer.
Longtemps, la violence fut associée aux hommes. Aujourd’hui, certaines femmes franchissent, elles aussi, la ligne fatale.
Cette montée en flèche du crime interpelle, non seulement par sa fréquence, mais surtout par sa nature. Le sang coule, non plus dans l’anonymat de la nuit, mais au grand jour, au cœur même du tissu social. L’émotion ne suffit plus. Il est temps d’affronter ce mal à la racine, avec lucidité, courage et espoir.


Les visages changeants de la violence
Les formes que prend aujourd’hui la violence en Tunisie sont multiples, diffuses, imprévisibles. Elles ne se cantonnent plus aux marges : elles surgissent au sein des foyers, dans les milieux scolaires, au sein même des cercles d’amitié. L’assassinat entre colocataires, les règlements de comptes entre jeunes, les meurtres conjugaux… Autant d’actes qui témoignent d’une perte progressive de contrôle, d’un délitement de nos mécanismes de régulation émotionnelle et sociale.
Ce qui frappe aussi, c’est la jeunesse des protagonistes. Victimes ou bourreaux, ils sont souvent à peine adultes. Comment peut-on tuer à vingt ans ? Quelles blessures invisibles mènent un être humain à ôter la vie ? Ce n’est plus seulement la criminalité organisée qui menace, mais une violence du quotidien, de l’impulsivité, du silence accumulé. Elle naît dans l’intimité des frustrations, elle mûrit dans l’indifférence et éclate brutalement, sans retour.


Une société en tension : solitude, précarité, perte de sens

Derrière chaque crime, il y a une histoire. Une colère rentrée, un espoir avorté, une détresse ignorée. Loin d’excuser les actes, le chômage, la précarité, l’inégalité d’accès aux ressources, l’éclatement de la cellule familiale et l’affaiblissement de l’école comme espace de dialogue laissent des millions de Tunisiens en errance affective et sociale.
La solitude devient un poison. Elle dévore de l’intérieur, elle rend sourd au malheur de l’autre, elle fait perdre tout repère. Dans une société sans perspective, où l’avenir semble bouché, la vie — celle des autres, comme la sienne — perd de sa valeur. C’est dans ce vide que s’engouffre la violence. Un cri muet de douleur transformé en acte de destruction.
Les réseaux sociaux, loin d’être neutres, agissent comme des amplificateurs. La haine y circule sans filtre, la vengeance y trouve une scène, et la mort devient parfois un spectacle. Qui encadre ? Qui alerte ? Qui protège ?

Peine de mort : dissuasion ou illusion ?

Devant l’ampleur de cette violence, certains réclament le retour aux exécutions capitales. Faut-il s’en remettre uniquement au glaive de la justice ? Bien que toujours inscrite dans le Code pénal et prononcée à près d’une centaine de reprises en 2024 — entre 95 et 100 selon des sources officieuses, dont trois fois à l’encontre de femmes — la peine de mort n’a plus été exécutée en Tunisie depuis le 9 octobre 1991, avec la pendaison des auteurs de l’attentat contre le local du parti destourien à Bab Souika. L’avant-dernière exécution remonte au 17 novembre 1990, date à laquelle le tueur d’enfants de Nabeul a été pendu. Mais cette mesure extrême est-elle réellement dissuasive ? La réponse, apportée par de nombreuses études internationales, tend à être négative. Là où elle est appliquée, les taux de criminalité ne sont pas systématiquement plus bas. La peur du châtiment ultime n’est pas toujours suffisante pour refréner un acte commis dans l’emportement ou la folie.
Plus encore, dans un système judiciaire parfois lent, marqué par des dysfonctionnements, le risque d’erreur est réel. Et une erreur en matière de peine capitale est irréversible. Il est donc urgent de déplacer le curseur, vers l’efficacité de la prévention, la célérité de la justice, la capacité à reconstruire l’individu et le lien social.

Restaurer le lien : prévention, éducation, justice

Pour sortir durablement de cette spirale, il faut refonder le pacte social. Cela passe par trois leviers essentiels : prévention, éducation, justice.
L’école, d’abord, doit être plus qu’un lieu d’instruction : elle doit redevenir un espace d’éducation morale, d’apprentissage de l’altérité, de gestion de la colère et du conflit. L’introduction sérieuse de l’éducation civique et émotionnelle dès le primaire est une urgence nationale.
Ensuite, les quartiers doivent revivre. Les municipalités, les associations, les clubs culturels et sportifs doivent être mobilisés. C’est là que se joue la prévention de la violence : dans la parole partagée, dans l’activité créatrice, dans la reconnaissance sociale. Offrir un lieu d’écoute, une médiation, un sentiment d’appartenance peut sauver une vie.
Enfin, la justice doit être plus rapide, plus équitable, plus proche du citoyen. Un crime jugé dans les délais, une peine comprise et acceptée, un suivi des victimes comme des auteurs : voilà les fondements d’un système juste. Sans cela, la justice est perçue comme lointaine, inefficace, voire complice du désordre.


Médias et réseaux sociaux : entre miroir et amplificateur

Les médias jouent un rôle crucial dans la fabrique du regard social. Or, le traitement sensationnaliste de la violence participe souvent à sa banalisation. Il ne s’agit pas de taire les crimes, mais de les nommer sans les glorifier, de les relater sans exciter les instincts. Une charte éthique du journalisme s’impose en matière criminelle, tant pour encadrer la couverture médiatique des faits que pour responsabiliser la création des fictions télévisuelles.
Les réseaux sociaux, quant à eux, sont aujourd’hui un terrain quasi anarchique. Des vidéos violentes y circulent librement, des appels au crime y sont lancés, des vengeances s’y orchestrent en direct. Là aussi, un cadre légal fort, accompagné d’une éducation numérique dès l’école, est indispensable.
Nous avons tous en mémoire ces scènes devenues tristement familières : un citoyen s’en prenant à un policier en plein jour, un chauffeur de taxi invectivant violemment son client, une conductrice hors d’elle bousculant un passant. Même sous les ors du Parlement, les joutes verbales ont cédé la place aux empoignades : des députés transformant l’Assemblée nationale en arène, et une élue, le regard incendiaire, menaçant de "casser la gueule" à un ministre abasourdi.


Santé mentale : l’angle mort à réparer

L’un des éléments les plus négligés dans notre stratégie contre la violence est la santé mentale. Pourtant, combien d’auteurs de crimes présentaient des signes de souffrance psychologique non pris en charge ?
Le manque de structures, de professionnels, de campagnes de sensibilisation fait de la psychiatrie un désert. Or, prévenir, c’est aussi écouter, accueillir, accompagner. Il faut intégrer des cellules de soutien psychologique dans les écoles, les universités, les postes de police, les tribunaux. Il faut former les enseignants, les éducateurs, les agents de sécurité à détecter les signaux faibles. Une société qui prend soin de l’âme est une société qui se protège du pire.


Pour un sursaut collectif

La Tunisie n’a pas vocation à devenir un territoire où la violence est reine. Ce n’est pas notre histoire. Ce n’est pas notre destin.
Mais pour éviter le basculement, il faut un réveil. Non pas un réflexe sécuritaire aveugle, mais un sursaut intelligent, humain, structuré. Une société où l’on éduque avant de punir, où l’on écoute avant de juger, où l’on soigne avant de désespérer.
Le combat contre la violence est un combat pour la dignité. Il ne se gagnera ni dans les tribunaux seuls, ni dans les prisons, mais dans chaque classe, chaque foyer, chaque rue. Ensemble, armés de courage et de compassion, il nous revient de dire non à l’ensauvagement ordinaire, et oui à la vie, dans ce qu’elle a de plus inviolable, de plus sacré, de plus humain.

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Réarmer la Tunisie par le savoir :  Du Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement à la diplomatie de la recherche.

13 Avril 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 13/04/2025 Publié dans #Articles

Réarmer la Tunisie par le savoir : 
Du Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement à la diplomatie de la recherche.

 Par

Jamel

BENJEMIA                                
                

                                                

Il est des nations qui se rêvent grandes par leurs armées, d’autres par leurs ressources. La Tunisie, elle, ne s’élèvera que par son savoir. C’est dans le silence vibrant des salles de classe, dans le tumulte fécond des amphithéâtres, et dans la lumière tamisée des laboratoires que s’esquisse son avenir. Là se forgent les esprits, s’aiguisent les consciences et se dessine la forme du destin.
Notre pays, fort d’une jeunesse aux regards vifs et d’un patrimoine qui embrasse Carthage et Kairouan, a gravé dans le marbre de sa Constitution, à l’article 135, la création d’un Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement (CSEE). 
Mais il ne suffit pas d’ériger un Conseil : encore faut-il en faire un levier de transformation, un lieu où se croisent la stratégie, l’écoute et la vision. Car l’éducation ne peut plus se contenter d’être un chapitre budgétaire ou un motif de discours. Elle doit redevenir un acte de souveraineté. C’est à cette condition, et à celle-là seule, que le diplôme tunisien retrouvera sa valeur d’ascenseur social, que les fractures régionales cesseront d’être des fatalités, que notre pensée scientifique rayonnera au-delà des frontières, et que nos grandes institutions seront peuplées d’intelligences sûres d’elles-mêmes, enracinées et audacieuses.

Kasserine, Gafsa et les angles morts de la République

L’école tunisienne, censée être le grand égalisateur social, reproduit parfois les fractures qu’elle devrait combler. Rien n’illustre mieux ce paradoxe que les inégalités linguistiques criantes entre les régions du littoral et celles de l’intérieur. À Kasserine, à Gafsa, mais aussi dans d’autres gouvernorats, le niveau de maîtrise des langues — arabe littéraire, français, anglais — reste dramatiquement faible. Ce constat n’est pas une fatalité, mais le résultat d’un abandon progressif, d’un manque de stratégie différenciée et d’une absence d’investissement ciblé.
Or, la langue est bien plus qu’un outil de communication. Elle est une clef d’accès au savoir, à la citoyenneté et à l’emploi. Lorsque l’élève d’une région marginalisée peine à s’exprimer ou à comprendre un manuel, c’est tout son avenir qui se trouve compromis. L’inégalité linguistique devient alors une inégalité d’opportunités, une fracture cognitive qui renforce l’exclusion et mine la cohésion nationale.
Il est urgent d’agir. Des parcours d’excellence linguistique, des classes à effectifs allégés, des passerelles entre régions, mais aussi la valorisation des langues comme leviers d’ascension sociale doivent être mis en œuvre. Il s’agit de faire du plurilinguisme un droit et non un privilège, d’offrir à chaque enfant, quel que soit son lieu de naissance, la possibilité de maîtriser les outils fondamentaux du savoir. Réconcilier la République avec ses régions passe par là : par une école qui parle, enseigne et rêve dans toutes les langues de l’excellence.


Une plateforme ouverte pour une recherche trilingue

La Tunisie ne souffre pas d’un manque d’intelligence, mais d’un manque de valorisation de son intelligence. Dans nos universités, nos laboratoires et même en dehors du monde académique, des centaines de chercheurs, jeunes diplômés, enseignants ou passionnés produisent des idées, des analyses, des propositions. Pourtant, très peu de ces contributions atteignent le public, la décision politique ou les forums internationaux. Le problème est double : absence de plateforme nationale dédiée et cloisonnement linguistique.
Il est temps que la Tunisie crée une plateforme ouverte, publique, gratuite, pour publier des papiers de recherche dans les trois langues majeures du pays : l’arabe, le français et l’anglais. Cette plateforme, pensée comme un carrefour du savoir tunisien, permettrait à chaque chercheur de publier dans sa langue de prédilection, avec la garantie que son travail sera traduit — humainement ou automatiquement — dans les deux autres langues. Le savoir ne doit pas rester prisonnier des cloisons linguistiques ; il doit circuler, être partagé, discuté.
Un tel outil changerait la donne : il amplifierait la visibilité de la recherche tunisienne, renforcerait les échanges interdisciplinaires, et favoriserait une culture de publication dès le niveau licence ou master. Il permettrait aussi d’alimenter le débat public par des expertises locales, de nourrir les politiques publiques par des données endogènes, et de projeter la Tunisie comme un acteur crédible de la diplomatie du savoir. Car publier, ce n’est pas seulement informer, c’est exister dans le concert des nations.
La souveraineté scientifique commence par l’accessibilité du savoir. C’est en organisant notre propre circulation des idées que nous pourrons espérer en influencer d’autres.


L’ITES : silence d’un « Think Tank » stratégique

L’Institut Tunisien des Études Stratégiques (ITES) devrait être l’une des boussoles intellectuelles de la République. Chargé de produire des analyses de fond sur les grands enjeux nationaux — sécurité, économie, société, diplomatie — il a pourtant sombré dans un silence préoccupant. Le dernier dossier publié par cette honorable institution remonte à juillet 2024 selon le site web de l’ITES.
Cette discrétion contraste fortement avec les attentes du moment. Dans un monde incertain, marqué par les mutations géopolitiques, la révolution numérique, les tensions sociales et climatiques, chaque pays a besoin de structures capables de penser l’avenir, d’anticiper les chocs, de proposer des trajectoires. L’ITES pourrait — et devrait — être cette vigie stratégique, à condition de sortir de son isolement.
Il est urgent de redynamiser cet institut. Cela passe par des partenariats solides avec les universités tunisiennes et étrangères, des appels à contribution ouverts aux chercheurs indépendants, des traductions systématiques de ses travaux, et une véritable politique de diffusion. L’ITES doit redevenir un lieu de débat éclairé et un creuset d’idées, en lien direct avec les décideurs mais sans complaisance politique.
Redonner de la voix à l’ITES, c’est réaffirmer que la pensée stratégique est une dimension essentielle de la souveraineté. Un pays sans stratégie réfléchie devient un terrain de jeu pour les stratégies des autres.


Du local au global : bâtir la souveraineté intellectuelle

Réunir les constats précédents, c’est tracer une ligne directrice claire : la Tunisie a besoin d’un réarmement intellectuel. Cela ne signifie pas une accumulation de réformes techniques ou de slogans creux, mais un véritable effort pour bâtir une souveraineté cognitive, enracinée dans nos territoires, nourrie par notre jeunesse, et tournée vers l’universel. Cette souveraineté commence dans les écoles de Gafsa et Kasserine, où l’égalité linguistique doit devenir un chantier prioritaire. Elle se poursuit à travers un Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement fort, visionnaire, et structurant. Elle s’affirme dans la capacité à produire de la connaissance en trois langues, à publier, à débattre, à critiquer. Elle s’incarne, enfin, dans des institutions comme l’ITES, qui doivent retrouver leur mission de veille stratégique.
Le passage du local au global est possible. Il ne s’agit pas de copier des modèles extérieurs, mais d’inventer une trajectoire propre, qui valorise les spécificités tunisiennes tout en respectant les standards de l’excellence. C’est cette dynamique qui permettra de redonner confiance à la jeunesse, de stabiliser les régions marginalisées, et de projeter la Tunisie comme un carrefour de la pensée méditerranéenne, arabe et africaine.
Réarmer la Tunisie par le savoir, c’est reconnaître que les idées, les langues, les publications, les réflexions sont des armes pacifiques, mais puissantes. C’est aussi admettre que toute réforme économique, politique ou sociale restera incomplète si elle n’est pas adossée à une renaissance intellectuelle.
La Tunisie n’a pas besoin d’un énième plan de sauvetage conjoncturel. Elle a besoin d’un souffle, d’un horizon, d’un projet de civilisation. Ce projet commence par l’éducation, se prolonge dans la recherche, s’incarne dans des institutions intellectuelles fortes. Il exige du courage politique, une vision à long terme et une confiance retrouvée dans la capacité de notre pays à produire du sens, de la valeur, et du savoir.
À travers un Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement repensé, une plateforme de recherche ouverte, des politiques linguistiques inclusives et un institut stratégique réanimé, la Tunisie peut bâtir une souveraineté intellectuelle capable de nourrir son avenir. C’est un pari exigeant, mais c’est le seul qui vaille.
La Tunisie ne sera pas sauvée par ses mines, mais par ses idées. Elle ne rayonnera pas par ses classements, mais par ses engagements envers l’intelligence partagée.

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Reconstruire la Tunisie : Du bitume aux pierres, un pays qui se relève.

6 Avril 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 06/04/2025 Publié dans #Articles

Reconstruire la Tunisie : 
Du bitume aux pierres, un pays qui se relève.

Par

Jamel

BENJEMIA                                
   

Il y a des silences qui fissurent les nations autant que le temps fend les pierres. En Tunisie, chaque nid-de-poule est une virgule de négligence, chaque mur lézardé une cicatrice de l’oubli. Mais reconstruire, c’est refuser la fatalité. C’est replacer chaque pierre, retisser chaque route, rallumer chaque lumière. Et pourtant, la Tunisie n’est pas un pays en ruine. Elle est une partition inachevée, une symphonie en suspens, attendant que chacun reprenne son instrument pour accorder l’harmonie du progrès.
Les voitures tanguent sur des routes cabossées, les immeubles plient sous le poids du désintérêt, et nous, citoyens, oscillons entre résignation et colère. Mais qu’arriverait-il si, au lieu d’attendre un miracle, nous devenions les chefs d’orchestre de notre propre renaissance ? Si chaque nid-de-poule signalé, chaque mur consolidé, devenait une note ajoutée à cette mélodie de reconstruction ?
Imaginons 24 unités d’intervention, une armée de techniciens réparant l’ossature du pays, et une application, simple et citoyenne, reliant chaque main tendue à une action concrète. Il ne s’agit pas d’un rêve, mais d’une nécessité. Car un pays qui répare ses fondations, c’est un pays qui refuse l’effondrement. C’est un pays qui se remet en marche.


Les routes brisées, fractures du temps et du renoncement

Les routes de Tunisie ne serpentent plus : elles trébuchent. Chaque nid-de-poule est une faille dans le récit national, une brèche où s’engouffrent l’usure et l’oubli. Elles étaient jadis des rubans d’asphalte tendus vers l’horizon, elles ne sont plus que des tapis râpés, déchirés par le poids des années et le silence des pouvoirs publics.
À chaque creux dans la chaussée, c’est un amortisseur qui gémit, un pneu qui s’éventre, un conducteur qui jure. Les taxis tanguent, les camions boitent, et la route, au lieu d’être un fil conducteur du développement, devient une entrave, un labyrinthe semé d’embûches. Ce n’est plus un réseau, c’est une cicatrice géante qui se propage sous nos roues.
Et les conséquences sont lourdes. En 2024, le nombre d’accidents de la route s’élève à 5 687, contre 5 796 en 2023. Un léger recul, mais qui ne saurait masquer le drame : 1 169 décès en 2024, contre 1 216 l’année précédente. Derrière ces chiffres, ce sont des vies brisées, des familles endeuillées, des espoirs fauchés.
Il ne suffit pas d’annoncer des kilomètres de nouvelles routes en construction et de dérouler des plans ambitieux sur le papier. Ce qui compte, ce n’est pas seulement ce qui est bâti, mais ce qui est entretenu. Publier des statistiques sur les routes réparées, sur les routes goudronnées, sur les nids-de-poule relevés, serait un signal clair d’un État qui ne se contente pas de promettre, mais qui agit.
Ces blessures ne sont pas irréversibles. Il suffirait d’un sursaut, d’un plan d’urgence qui ne se contente pas de replâtrer, mais qui soigne en profondeur. Réparer une route, c’est recoudre le tissu économique du pays. C’est rendre aux villes leur fluidité, aux villages leur accessibilité, aux citoyens leur dignité. Car un pays qui laisse ses routes s’effondrer, c’est un pays qui vacille. Et un pays qui les reconstruit, c’est un pays qui avance.


Bâtiments vulnérables, mémoires en péril

Les murs de nos villes parlent. Écoutez-les. Ils chuchotent l’histoire d’un pays qui a grandi trop vite et qui, faute d’entretien, laisse ses fondations vaciller. Chaque fissure dans une école est une promesse d’avenir qui se fendille. Chaque immeuble administratif décrépit est une colonne du service public qui menace de s’effondrer. Chaque balcon prêt à choir est une alerte ignorée, un drame en attente.
Nos centres-villes ressemblent parfois à des vieilles bibliothèques dont les pages se détachent une à une, emportant avec elles les souvenirs de ce qui a été bâti avec espoir. Combien d’hôpitaux, de tribunaux, d’institutions tiennent encore debout par miracle ? Combien de vies seraient épargnées si, au lieu d’attendre l’irréparable, nous choisissions d’agir ?
Rénover, ce n’est pas simplement repeindre les façades pour masquer les plaies. C’est redonner souffle aux pierres, solidité aux structures, confiance aux habitants. Il faut une brigade de la préservation, une légion d’architectes et de bâtisseurs, un programme national qui restaure au lieu de laisser s’effondrer. Car un pays qui ne prend pas soin de ses murs condamne son avenir à l’érosion. Mais un pays qui les relève, pierre après pierre, prouve qu’il refuse la chute.

La Tunisie, un pays à recoudre

Il est des forces qu’on mobilise pour punir et d’autres qu’on élève pour bâtir. La Tunisie n’a pas besoin d’une police de l’environnement qui traque sans réparer, qui sanctionne sans reconstruire. Que vaut une amende dressée face à un mur qui s’effondre ? Que pèse une réprimande face à une route qui se déchire sous les roues fatiguées ? Plutôt que de scruter les failles pour punir, pourquoi ne pas les combler pour bâtir ?
Imaginons un corps d’élite non pas au service de la répression, mais de la réparation. Une force déployée dans chaque gouvernorat, non pour épier et dénoncer, mais pour restaurer et renforcer. Des hommes et des femmes en uniforme, non pour verbaliser, mais pour consolider. Une brigade bâtisseuse, investie d’une mission claire : recoudre la terre et les pierres, réanimer l’asphalte et le béton, ressouder les fondations du pays.
24 unités d’intervention, une par gouvernorat, veillant sur les routes comme sur des artères vitales, sur les bâtiments comme sur des bastions de l’avenir. Un peuple ne se maintient pas debout en dressant des contraventions : il se redresse en érigeant des ponts, en consolidant ses murs, en lissant ses chemins. Faisons de cette force non un œil qui surveille, mais une main qui répare.

L’implication citoyenne

Un pays ne se répare pas d’en haut, il se reconstruit avec ceux qui l’arpentent, qui l’habitent, qui le font vivre. Trop souvent, les citoyens constatent, subissent, râlent – mais restent spectateurs. Il est temps d’inverser cette dynamique, de transformer chaque habitant en acteur du renouveau.
Imaginons une application informatique simple, accessible à tous. Une route cabossée ? Un nid-de-poule béant ? Un bâtiment qui menace de s’effondrer ? En quelques secondes, une photo, une localisation, un signalement envoyé aux équipes de maintenance. Une plateforme interactive où chacun devient les yeux et les oreilles de son quartier, où les autorités locales reçoivent des alertes en temps réel, où le suivi des réparations est transparent, consultable par tous.
Cette implication citoyenne n’est pas une charge, c’est un pouvoir. C’est la possibilité d’exiger, mais surtout de contribuer. Chaque alerte envoyée, chaque problème réparé, c’est une pierre ajoutée à l’édifice du bien commun. Ce n’est plus une question d’État seul, mais d’une nation qui prend en main son propre destin. Car un pays qui donne à ses citoyens les moyens d’agir est un pays qui se dresse au lieu de s’effondrer. Et si nous faisions de la Tunisie un chantier collectif du renouveau ?

La Tunisie qui répare, la Tunisie qui renaît.

Un pays ne meurt pas de ses fissures. Il meurt du silence qui les laisse s’élargir. Mais il renaît à chaque pierre replacée, à chaque route lissée, à chaque mur fortifié. La Tunisie n’est pas un édifice condamné aux ruines du passé, elle est un chantier du possible, un grand livre dont chaque génération écrit une nouvelle page.
Victor Hugo disait : « Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs. » Il en va de même pour une nation : il n’existe pas de fatalité au déclin, seulement l’abandon de ceux qui auraient pu bâtir. Si nous relevons les ponts, réparons les passages, si nous faisons de chaque fissure une promesse de renouveau, alors nous réapprendrons à marcher droit, non plus sur des routes brisées, mais sur des chemins d’avenir.
Que chaque route réhabilitée soit une veine où circule l’espérance. Que chaque mur consolidé soit une colonne qui soutient l’avenir. Car un pays qui répare, c’est un pays qui refuse l’effondrement. Un pays qui bâtit, c’est un pays qui renaît.

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