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Muscler les entreprises publiques tunisiennes pour bâtir l’avenir.

30 Mars 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 30/03/2025 Publié dans #Articles

Muscler les entreprises publiques tunisiennes pour bâtir l’avenir.

Par

Jamel

BENJEMIA                                
                

                                              

Depuis trop longtemps, les entreprises publiques tunisiennes voguent telles des vaisseaux fatigués, leurs cales alourdies de dettes, leurs voiles déchirées par les vents contraires d’une gestion inefficace et d’un interventionnisme étouffant. Chaque année, l’État, tel un capitaine hésitant, puise dans ses réserves pour colmater les brèches, prolongeant l’illusion du voyage sans cap véritable. Repousser l’inévitable, c’est laisser le naufrage s’annoncer : non seulement celui de ces entreprises, mais aussi de l’équilibre fragile des finances publiques.
Faut-il pour autant livrer ces navires au marché, les vendre au plus offrant et accepter leur disparition sous pavillon privé ? Non, il existe une autre voie, un passage entre les récifs de la privatisation aveugle et les sables mouvants de l’immobilisme. Cette voie exige du courage : celui d’arracher ces entreprises aux filets de l’exception juridique, de leur donner l’élan d’une gouvernance affranchie des pesanteurs bureaucratiques et leur ouvrir des horizons prometteurs. Mais pour que le vent du renouveau porte ces entreprises, encore faut-il hisser les bonnes voiles. L’heure n’est plus aux rustines éphémères, mais à une refonte profonde, une nouvelle navigation où l’État, plus stratège que pompier, devient le véritable architecte d’un avenir durable.


Briser les chaînes invisibles

Un arbre, aussi majestueux soit-il, finit par dépérir si ses racines sont enserrées dans un sol trop aride. Ainsi en est-il des entreprises publiques tunisiennes, piégées dans un carcan juridique qui les prive des eaux nourricières du redressement et les condamne à une lente asphyxie financière. L’article 416 de la loi n° 2016-36 les soustrait aux procédures collectives, les maintient dans un statut d’exception contre-productif. Sous prétexte de protection, elles sont en réalité livrées à un lent déclin, interdites de recours aux outils de sauvetage dont disposent pourtant les entreprises privées.
Il est temps de briser ces chaînes invisibles, d’ouvrir les portes du droit commun pour que ces structures ne soient plus des bastions reclus mais des entités capables de renaître de leurs propres cendres. En les autorisant à déclarer leur cessation de paiement et à solliciter un redressement sous l’égide d’administrateurs judiciaires, on leur offre non une sentence, mais une chance : celle d’un avenir régénéré, d’un souffle nouveau. La réforme ne doit pas être perçue comme une menace, mais comme un tremplin vers l’efficience. Car une entreprise publique n’a pas vocation à être une forteresse d’exception, mais un acteur économique ancré dans la réalité, capable de résilience et de renouveau.

 

Du fardeau à l’équilibre

Une entreprise publique ne devrait pas être un navire ballotté au gré des vents politiques, errant sans boussole vers l’incertitude. Pourtant, trop souvent, sa gouvernance oscille entre lourdeur bureaucratique et ingérences arbitraires, freinant toute velléité d’efficacité. L’État, en tentant d’en être à la fois le pilote, l’ingénieur-mécanicien et le comptable, alourdit son propre fardeau et compromet l’équilibre qu’il cherche pourtant à préserver.
Il faut rompre avec cette logique d’assistance permanente et refonder la gouvernance sur un socle de rigueur et d’indépendance. Un conseil d’administration composé d’experts et non d’obligés politiques, des contrats de performance définis avec des objectifs précis et mesurables, et une transparence accrue dans la gestion des fonds : voici les clés d’une métamorphose salutaire. Plutôt qu’un désengagement, cette réforme recentre l’action publique. L’État ne doit pas être un gestionnaire omniprésent, mais un stratège vigilant, garant des orientations à long terme sans étouffer l’initiative et l’adaptabilité.
En libérant ces entreprises du poids de l’inefficience et de l’opacité, on ne les affaiblit pas : on leur redonne la force de croître, non comme des fardeaux à porter, mais comme des piliers solides, capables de soutenir l’édifice économique du pays.


Rebâtir plutôt que brader

Vendre pour survivre est une illusion à court terme, un feu de paille qui éclaire un instant avant de plonger l’économie dans l’obscurité d’une dépendance accrue. La privatisation aveugle, loin d’être une panacée, ressemble à ces remèdes hâtifs qui soulagent sans guérir, laissant derrière eux des fractures sociales et des services publics affaiblis. Or, la Tunisie n’a pas besoin de brader ses entreprises publiques, mais de les refonder sur des bases solides, où la rentabilité n’est plus un mirage mais un cap atteignable.
La voie du redressement passe par des solutions plus subtiles, alliant pragmatisme et vision stratégique. Les partenariats public-privé (PPP), bien encadrés, peuvent injecter des capitaux et des savoir-faire sans diluer l’intérêt général. La cession partielle d’actifs non stratégiques offre une respiration financière sans renier l’identité publique des entreprises concernées. Quant à la modernisation par l’innovation et la digitalisation, elle permet de renouer avec la compétitivité sans sacrifier l’indépendance.
Il ne s’agit pas de s’accrocher au statu quo, mais d’opérer un virage réfléchi : transformer ces structures en moteurs de croissance plutôt qu’en gouffres budgétaires, leur donner les outils pour se redresser sans les livrer aux appétits du marché. Rebâtir, plutôt que vendre.


La « Gazelle » a du plomb dans les ailes

Fierté nationale, TunisAir, surnommée la « Gazelle », porte en elle l’héritage d’un rayonnement international conquis et d’un prestige forgé au fil des décennies. Plus qu’une compagnie, elle est un symbole de connexion, reliant la Tunisie au monde et les Tunisiens à leurs horizons. Son histoire est celle d’une ascension, d’une audace, et d’un savoir-faire qui ont marqué des générations. Mais aujourd’hui, face aux défis du temps, elle se trouve à un tournant décisif. Loin d’être clouée au sol, elle a l’ardente obligation de se réinventer, de moderniser ses processus et d’optimiser sa gestion pour mieux déployer ses ailes.
Avec une flotte de 24 avions, dont seulement 10 en état de fonctionner, le défi est immense mais pas insurmontable, comme l’a souligné le Président Kaïs Saïed en recevant, le mardi 25 mars, Rachid Amari, ministre des Transports, et Halima Khouaja, chargée de la direction générale de TunisAir.
Dans un constat sans appel, le président Kaïs Saïed dénonce un enchevêtrement de dysfonctionnements : retards chroniques, services médiocres, et une maintenance d’avions qui s’éternise, là où ailleurs elle se résout en quelques jours. Le coût de cette inertie se chiffre en milliards de dinars, une hémorragie qui aurait pu permettre l’acquisition d’une flotte moderne et performante.
TunisAir a les ressources, l’expertise et la légitimité pour entrer dans une nouvelle ère, portée par la rigueur et l’excellence, moteurs d’un redécollage attendu. La « Gazelle » peut encore retrouver son agilité et son prestige, à condition de lui redonner des ailes solides, affranchies du poids des passe-droits et de l’improvisation.


La voie des bâtisseurs

Restructurer n’est pas renoncer, c’est bâtir. C’est refuser la facilité des palliatifs budgétaires et des privatisations précipitées pour s’engager dans une œuvre plus exigeante : celle du redressement stratégique. Trop longtemps, les entreprises publiques tunisiennes ont été maintenues sous perfusion, oscillant entre protection inefficace et gestion approximative. L’heure n’est plus aux demi-mesures, mais à une refonte profonde, portée par une gouvernance exigeante et un cadre juridique adapté à la réalité économique.
Loin d’être un fardeau inéluctable, ces entreprises peuvent redevenir des moteurs de croissance, à condition de leur redonner souffle et discipline. Cela passe par des décisions courageuses : briser le carcan juridique qui les enferme, imposer une gestion rigoureuse et indépendante, encourager les restructurations sans diluer l’intérêt public et surtout, exiger des dirigeants une responsabilité à la hauteur des enjeux.
L’avenir appartient aux bâtisseurs, à ceux qui savent que redresser un édifice ne commence pas par le vendre, mais par en renforcer les fondations. La Tunisie n’a pas besoin d’un simple répit financier, mais d’une véritable renaissance industrielle et économique. C’est en osant cette renaissance que nous transformerons nos entreprises publiques en leviers de prospérité, et non en reliques du passé.

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