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Entre mémoire et renouveau : La quête d'une autosuffisance nourricière en Tunisie.

23 Mars 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 23/03/2025 Publié dans #Articles

Entre mémoire et renouveau : 
La quête d'une autosuffisance nourricière en Tunisie.


       Par

Jamel

BENJEMIA                                
                

                                                  

La Tunisie, terre de lumière et d’histoire, s’étire entre mer et désert, façonnée par les vents du temps et la résilience de son peuple. Depuis l’Antiquité, ce pays a su transformer les défis en opportunités, apprivoisant une nature tantôt généreuse, tantôt capricieuse. Aujourd’hui encore, face aux incertitudes climatiques et économiques, l’impératif de l’autosuffisance alimentaire résonne comme une nécessité vitale. Plus qu’un enjeu de survie, c’est une quête d’harmonie, un retour aux racines profondes de la terre nourricière.
Mais comment concilier tradition et modernité, sagesse ancestrale et innovations contemporaines ? Comment réapprendre à cultiver sans épuiser, à récolter sans dénaturer, à nourrir sans aliéner ? À travers l’histoire de l’agriculture tunisienne, de ses terres fertiles aux jardins suspendus de Djebba El Olia, ce texte explore les chemins d’une autonomie retrouvée.


La mémoire des sols et le chant des saisons
Dans chaque grain de sable des plaines du Sahel, dans chaque motte de terre des vallées de la Medjerda, repose un savoir ancestral, tissé de patience et d’ingéniosité. Depuis des millénaires, l’agriculture tunisienne s’est adaptée aux caprices du ciel, composant avec les sécheresses, les crues, et les vents brûlants du désert.
Les fellahs d’hier, véritables alchimistes, décryptaient le murmure du vent et l’absence éloquente des nuages. Ils plantaient en fonction des cycles lunaires, irriguaient avec la parcimonie d’un orfèvre dosant son or, et récoltaient en respectant le rythme sacré des saisons. De l’olivier centenaire au blé doré des plaines, chaque culture était un maillon d’une harmonie subtile entre l’homme et la nature.
Aujourd’hui, sous l’uniformisation imposée par les marchés mondialisés, ce savoir précieux menace de disparaître sous le poids de l’agriculture intensive. Pourtant, au cœur de cette tempête, certaines régions de Tunisie perpétuent l’équilibre fragile d’une agriculture durable. C’est dans cet interstice, entre préservation et innovation, que repose l’espoir d’une autosuffisance renouvelée.


Le défi de l’autonomie alimentaire
L’autosuffisance alimentaire n’est pas une utopie, mais un horizon vers lequel il faut marcher avec lucidité et détermination. La Tunisie, malgré ses richesses naturelles, dépend encore largement des importations pour nourrir sa population. Blé, sucre, huile végétale : ces denrées essentielles arrivent par bateaux, soumises aux fluctuations des marchés internationaux et aux tensions géopolitiques.
Chaque crise met en lumière cette fragilité : une sécheresse, un conflit à des milliers de kilomètres, et soudain, les prix flambent, les rayons se vident, l’angoisse s’installe. Pourtant, les solutions existent. Redonner vie aux cultures vivrières, réhabiliter les semences locales, investir dans une agriculture régénératrice, autant de voies qui permettraient de renouer avec une souveraineté alimentaire réelle.
Cette ambition se confronte à des défis majeurs : morcellement des terres, exode rural croissant, désintérêt des jeunes pour un métier jugé moins prometteur que les illusions urbaines. Comment alors inverser la tendance ? Comment redonner au métier de cultivateur ses lettres de noblesse ? La réponse pourrait bien résider dans des modèles ancestraux réadaptés aux défis contemporains.


Les jardins suspendus de Djebba El Olia : un miracle d’ingéniosité
Dans les hauteurs du gouvernorat de Béja, Djebba El Olia se dresse comme un sanctuaire vivant où l’homme et la nature dialoguent en parfaite intelligence. Ici, les montagnes ne sont pas un obstacle, mais un écrin sculpté par des siècles de patience et de savoir-faire. Les jardins suspendus, reconnus par la FAO comme un système ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM), incarnent cette alliance harmonieuse où chaque pierre posée, chaque arbre planté, chaque rigole tracée témoigne d’une résilience séculaire.
Dans ces terrasses millénaires, l’eau, ce trésor inestimable, est captée et guidée avec une minutie d’un expert. Chaque goutte devient une offrande, préservée par des murs de pierres sèches qui retiennent l’humidité et limitent l’érosion. Figuiers, oliviers, grenadiers et amandiers y prospèrent, défiant la rudesse du climat dans une danse silencieuse avec le sol.
Les agriculteurs de Djebba ne sont pas seulement des cultivateurs, ce sont des gardiens d’un héritage fragile, des passeurs de mémoire. Ils perpétuent un art agricole où le geste est sacré, où la terre n’est pas une ressource à exploiter, mais une alliée à chérir. Face aux ravages de l’agriculture intensive, ces jardins suspendus offrent une leçon précieuse : produire sans détruire, cultiver sans compromettre l’avenir.


L’eau, fil d’or de l’autonomie agricole
Si la terre est le berceau de la vie, l’eau en est le souffle vital. En Tunisie, où les précipitations sont irrégulières et les nappes phréatiques surexploitées, la gestion de l’eau est une question cruciale.
Depuis des siècles, les agriculteurs ont su tirer parti des moindres gouttes en développant des systèmes habiles. Les « jessours », ces barrages de terre construits sur les versants des collines, permettent de capter et de retenir l’eau pour irriguer les cultures. Les citernes creusées dans la roche, dénommées « Majel »,  autrefois présentes dans chaque village, assurent une réserve précieuse pour les saisons arides.
Ces savoirs d’antan, loin d’être obsolètes, se marient aujourd’hui aux innovations : goutte-à-goutte, récupération des eaux pluviales, recyclage des eaux usées, autant de leviers pour une gestion plus efficiente. Car l’eau n’est pas seulement une ressource, elle est un patrimoine à préserver, un bien commun qui ne saurait être sacrifié aux logiques marchandes.
Assurer l’autonomie agricole de la Tunisie passe par une révolution de l’eau, où chaque goutte compte et où la sagesse d’hier éclaire les choix de demain.


Réconcilier l’homme et la terre.
L’autosuffisance ne s’impose pas, elle se construit, patiemment, geste après geste, récolte après récolte. Il ne s’agit pas d’un retour nostalgique à un passé idéalisé, mais d’une réconciliation entre tradition et modernité, entre l’intelligence du passé et les innovations du futur.
L’agroécologie, la permaculture, la valorisation des savoirs locaux offrent des pistes concrètes pour repenser notre rapport à la terre. Loin des monocultures destructrices, elles prônent un modèle où la diversité est une force, où la fertilité des sols est préservée, où les agriculteurs redeviennent les architectes de leur destin.
La Tunisie possède les ressources et le savoir-faire pour réussir cette transition. Mais il faut une volonté politique forte, une mobilisation collective, un changement de regard. Il faut comprendre que l’autosuffisance n’est pas une contrainte, mais une libération, une promesse d’avenir où chaque Tunisien pourrait se nourrir de la richesse de son propre terroir.
L’autosuffisance alimentaire en Tunisie n’est ni un mirage, ni un phantasme. C’est un appel à renouer avec la terre, à retrouver la sagesse des anciens sans renier les avancées du présent. C’est un engagement, un serment fait à la terre nourricière de ne plus l’épuiser, mais de la cultiver avec respect et intelligence.
Les jardins suspendus de Djebba El Olia, témoins silencieux du génie humain, rappellent une vérité immuable : la terre ne ment pas à ceux qui la comprennent. Elle se donne à ceux qui l’aiment, elle prospère entre les mains de ceux qui l’écoutent.
Que chaque graine semée soit une promesse, que chaque récolte soit une victoire, que chaque champ cultivé soit un poème écrit en lettres de lumière sur la peau du monde. L’autosuffisance n’est pas un repli, c’est une renaissance. Et c’est en redonnant à la terre sa voix que la Tunisie retrouvera la sienne.
La terre, qui a vu naître Magon, véritable encyclopédie vivante de l'agriculture, ne peut manquer de vibrer au rythme de cette révolution agricole.

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