Réforme des élections locales : L’égalité en acte
Réforme des élections locales :
L’égalité en acte
Par
Jamel
BENJEMIA
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Alors que les Tunisiens binationaux et ceux résidant à l’étranger restent exclus des élections municipales, cette tribune se veut une invitation à repenser le code électoral à l’aune du principe d’égalité garanti par la Constitution de 2022. Une citoyenneté moderne ne saurait tolérer de hiérarchie entre les enfants du même pays.
La démocratie locale est plus qu’un simple rouage institutionnel. Elle incarne, dans sa forme la plus tangible, le contrat républicain. Là, au niveau des communes, se noue le lien vivant entre le citoyen et la chose publique. C’est l’espace de la proximité, du concret, du dialogue entre voisins, où l’engagement politique prend le visage du quotidien.
Pourtant, en Tunisie, un pan entier de la population est tenu à l’écart de cette respiration démocratique. Les citoyens binationaux et ceux établis à l’étranger , bien qu’ils partagent l’histoire, la langue, les racines, sont écartés des scrutins municipaux. Une incohérence profonde s’installe ainsi entre la lettre de la constitution et la pratique électorale.
Une citoyenneté à deux vitesses
Le cadre juridique actuel impose, de manière directe ou indirecte, des conditions de résidence qui réduisent considérablement l’accès aux élections locales. De ce fait, un Tunisien vivant à Mahdia peut faire entendre sa voix dans les affaires municipales, alors que son frère, établi à Berlin, à Abidjan ou à Montréal, ne peut ni voter ni se présenter, même s’il revient chaque été, entretient sa maison familiale, et contribue financièrement au développement local.
Ce découpage administratif ne reflète plus les réalités du XXIe siècle, où les mobilités humaines redéfinissent les contours de l’appartenance. À l’ère des connexions multiples, la citoyenneté ne se mesure plus uniquement à l’aune d’une présence physique, mais aussi à la constance d’un lien : affectif, patrimonial, ou culturel. En négligeant cette dimension, on consacre une citoyenneté à deux vitesses – l’une active et reconnue, l’autre suspendue, comme mise entre parenthèses.
Une entorse au socle constitutionnel
La Constitution de 2022 ne laisse place à aucune ambiguïté. Son article 23 affirme avec force :
« Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans aucune discrimination. »
En marginalisant certains citoyens en raison de leur lieu de résidence ou de leur nationalité secondaire, le code électoral introduit une discrimination que ni la nécessité, ni la proportionnalité ne sauraient justifier. En droit constitutionnel, toute différence de traitement entre citoyens doit répondre à un objectif légitime. Or, lorsqu’il s’agit d’élections locales, les arguments sécuritaires ou logistiques peinent à dissimuler une frilosité politique héritée d’une époque révolue.
Par ailleurs, l’article 4 de cette même Constitution rappelle que :
« La Tunisie est un État unitaire. Il n’est pas permis d’édicter toute législation portant atteinte à son unité. »
Exclure de la vie municipale ceux qui sont nés dans une commune mais vivent à l’étranger, c’est instaurer une fracture symbolique au sein même de la nation. C’est réduire l’unité nationale à une unité géographique, en oubliant qu’elle est d’abord une unité de destin, de mémoire et de participation.
Des exemples inspirants à travers le monde
Le droit comparé offre des pistes éclairantes. En France, un citoyen européen domicilié à Lyon peut voter aux élections municipales et y briguer un mandat, sans être français. Cette approche repose non sur la nationalité, mais sur la volonté d’être partie prenante d’un territoire.
L’Espagne, le Portugal ou encore le Sénégal ont mis en place des dispositifs qui permettent aux membres de leur diaspora d’exercer des droits politiques au niveau local. Ces mécanismes ne relèvent pas d’un privilège, mais d’une reconnaissance : celle que l’attachement à une communauté dépasse les frontières et les distances.
Au regard de ces expériences, la posture tunisienne semble paradoxale : accorder à un citoyen le droit d’élire un président ou un député depuis l’étranger, tout en lui interdisant de participer à la gestion de sa commune natale. Le local devient ainsi plus éloigné que le national, une aberration qui contredit l’esprit même de la décentralisation démocratique.
Une exclusion à contre-sens du développement
Les Tunisiens de l’étranger jouent un rôle économique et social de premier plan. Leurs transferts de fonds représentent une manne vitale pour de nombreuses régions. Au-delà de l’apport financier, beaucoup participent à la vie associative, soutiennent des projets éducatifs, sanitaires, culturels. Certains favorisent même des partenariats entre leur commune d’origine et des collectivités locales dans leur pays de résidence.
Les priver de voix au chapitre municipal revient à effacer une part essentielle de leur engagement. Cela nourrit un sentiment d’injustice, d’autant plus douloureux qu’il touche une population profondément attachée à ses racines. Loin d’être un facteur de division, leur inclusion renforcerait au contraire le tissu démocratique, élargirait l’horizon des politiques publiques locales, et encouragerait un modèle de développement fondé sur l’ouverture et la co-responsabilité.
Une réforme possible, légitime et clarificatrice
Il ne s’agit pas ici de réinventer l’architecture électorale, mais de lui restituer sa cohérence. Une modification ciblée du code électoral permettrait de garantir à tout citoyen tunisien, qu’il vive à Tunis ou à Toronto, les droits fondamentaux attachés à la citoyenneté.
Une disposition nouvelle pourrait prendre la forme suivante :
Article X – Tout citoyen tunisien jouit du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales, sans distinction de résidence, sur le territoire national ou à l’étranger, et sans considération de double nationalité. Ce droit peut s’exercer dans la commune de naissance du citoyen, ou dans toute autre commune avec laquelle il justifie d’un lien personnel, patrimonial, ou au sein de laquelle un parti politique autorisé l’a désigné pour le représenter.
Cette avancée pourrait être soutenue par un registre électoral dédié aux non-résidents, tenu par l’ISIE. Les modalités techniques d’exercice du vote – procuration, vote anticipé, vote électronique – mériteraient d’être explorées avec rigueur et créativité. Il s’agirait d’associer l’innovation technologique à l’ambition démocratique.
Une citoyenneté à réconcilier avec elle-même
En définitive, ce n’est pas uniquement de droit qu’il est question, mais de lien, de reconnaissance, et de mémoire. Derrière chaque citoyen éloigné se dessine une histoire singulière, un attachement, une promesse silencieuse faite au pays natal. Refuser à ces citoyens l’accès aux urnes municipales, c’est fragiliser la promesse républicaine d’égalité.
Réconcilier la citoyenneté avec elle-même, c’est faire le choix d’un récit commun où chacun trouve sa place. C’est affirmer que la démocratie ne s’arrête pas à la frontière, ni à l’adresse du domicile, mais qu’elle se nourrit du désir de participer, où que l’on soit.
Il y a, dans chaque bulletin de vote, une main tendue vers la communauté. Il y a, dans chaque urne, le reflet d’un pays qui se choisit. Ouvrir ce geste aux enfants éloignés, c’est écrire une page plus fidèle de notre avenir commun.
Dans un contexte où la cohésion nationale est mise à l’épreuve, redonner à chaque citoyen la possibilité d’être acteur de sa commune, quel que soit l’endroit où il vit, c’est retisser le lien entre le territoire et la nation, entre la mémoire et le devenir. L’égalité ne peut rester un idéal abstrait. Elle doit devenir une réalité politique, y compris au plus près des urnes.
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