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Se désendetter sans tomber dans l’austérité.

9 Février 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 09/02/2025 Publié dans #Articles

Se désendetter sans tomber dans l’austérité.                                   
            
Par

Jamel

BENJEMIA    

Depuis plusieurs décennies, les pays endettés oscillent entre deux solutions extrêmes : l’austérité, qui comprime la demande et alimente l’instabilité sociale, et la relance par l’endettement, qui alourdit la charge future et fragilise la souveraineté budgétaire. Cette dichotomie a montré ses limites, notamment en Europe après la crise de 2008, où les politiques de rigueur ont accentué la récession au lieu d’assainir durablement les finances publiques.
Or, dans un contexte de taux d’intérêt volatils, de transitions économiques majeures et de recomposition géopolitique, il devient urgent de repenser la gestion de la dette. Comment réduire son poids sans sacrifier la croissance ni compromettre l’avenir ? Loin des recettes classiques, certaines stratégies permettent d’assainir les finances publiques en activant des leviers sous-exploités : monétisation d’actifs dormants, arbitrage géopolitique, fiscalité incitative ou encore investissements à fort rendement stratégique.
Loin d’être une contrainte purement comptable, la dette peut devenir un instrument de souveraineté économique si elle est gérée intelligemment. Cet article explore des approches innovantes pour se désendetter sans tomber dans l’austérité, en réconciliant discipline budgétaire et dynamique de croissance.


Activer le potentiel des actifs dormants


L’un des premiers réflexes face à une dette élevée est d’augmenter les impôts. Pourtant, cette solution freine l’investissement et alimente l’évasion fiscale. Une alternative consiste à exploiter les actifs dormants que possède l’État : patrimoine immobilier, infrastructures sous-utilisées, concessions stratégiques ou encore droits d’exploitation d’actifs immatériels comme le spectre radioélectrique.
Les enchères pour la 5G ont rapporté plusieurs milliards d’euros à des pays comme l'Allemagne ou la France.
Plutôt que de céder ces ressources à la hâte et à perte, un pays peut les transformer en actifs financiers productifs à travers des fonds souverains ou des véhicules d’investissement hybrides. Singapour, par exemple, gère son patrimoine public à travers Temasek et GIC, générant des rendements conséquents sans sacrifier le contrôle national.
En Europe, la Banque d’Italie a montré qu’une gestion dynamique des réserves d’or pouvait générer des revenus significatifs. De même, la Tunisie pourrait optimiser la gestion de son vaste patrimoine immobilier plutôt que de procéder à des cessions ponctuelles.
Une exploitation stratégique de ces ressources permettrait de générer des flux de trésorerie réguliers, réduisant le besoin d’endettement tout en évitant des mesures fiscales régressives. Toutefois, la valorisation des actifs dormants n’est qu’un levier parmi d’autres. La capacité d’un État à manœuvrer dans l’arène géopolitique peut également lui offrir des opportunités insoupçonnées.

 

L’effet de levier géopolitique au service de la dette


La dette d’un pays n’est pas seulement une contrainte économique ; elle est aussi un outil géopolitique. De nombreux États ont utilisé leur position stratégique pour restructurer leur endettement ou attirer des financements extérieurs à des conditions avantageuses.
Un pays peut exploiter les rivalités entre puissances pour négocier des prêts ou des investissements en jouant sur sa position dans les chaînes de valeur mondiales. L’Argentine, par exemple, a obtenu un soutien financier de la Chine en échange d’une intégration plus poussée dans les nouvelles routes de la soie. De son côté, la Turquie a su tirer parti de sa position géopolitique pour capter des capitaux russes sous sanctions.
Cependant, ces stratégies impliquent des contreparties et des dépendances qui peuvent à terme limiter la marge de manœuvre des États. Une diversification des alliances et une gestion prudente des engagements sont donc essentielles.

Sur le plan monétaire, certaines nations ont commencé à contourner le système dominant du dollar ou de l’euro en développant des mécanismes alternatifs comme les règlements en yuan ou en cryptomonnaies d’État. Un pays très endetté pourrait tirer parti de ces évolutions pour réduire sa dépendance aux marchés financiers traditionnels et diversifier ses sources de financement.
En combinant diplomatie économique et innovation monétaire, un État peut alléger sa dette tout en renforçant son autonomie financière, évitant ainsi l’austérité imposée par des créanciers peu conciliants.

Miser sur des investissements à fort rendement


Plutôt que d’adopter une approche défensive axée sur la réduction des dépenses, un pays endetté peut investir dans des secteurs à forte croissance pour générer de nouvelles sources de revenus. L’idée est de mobiliser des capitaux publics et privés vers des domaines où l’effet de levier est maximal, permettant ainsi d’accélérer le désendettement.
Les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle, la biotech ou encore les énergies renouvelables sont autant de secteurs où l’investissement peut rapidement se traduire par une hausse des revenus fiscaux et une augmentation des actifs stratégiques. Un pays comme Taïwan a su transformer son expertise en microélectronique en levier de souveraineté, attirant des investissements massifs tout en consolidant son modèle économique.
Un État peut aussi créer un fonds souverain temporaire, spécialisé dans l’exploitation des cycles économiques. En investissant dans des tendances haussières, ce fonds peut générer des plus-values suffisantes pour rembourser une partie de la dette sans recourir à des coupes budgétaires.
Toutefois, la mise en œuvre de ces stratégies d’investissement requiert une gouvernance rigoureuse, garantissant transparence, efficacité et allocation optimale des ressources, afin d’éviter les dérives spéculatives ou la captation des bénéfices par des intérêts privés au détriment de l’intérêt général.
Loin d’être une fatalité, l’endettement peut ainsi devenir un moteur de transformation économique si les capitaux sont alloués de manière stratégique.


Une fiscalité incitative plutôt que punitive


L’impôt est souvent perçu comme un outil d’ajustement budgétaire, mais une approche trop brutale peut freiner la croissance et provoquer une évasion fiscale massive. Plutôt que de surtaxer les entreprises et les ménages, un État endetté doit adopter une fiscalité incitative, favorisant l’investissement productif.
L’attractivité irlandaise repose sur une fiscalité avantageuse et un écosystème dynamique pour les multinationales.
Une politique fiscale bien pensée ne doit pas uniquement viser à remplir les caisses rapidement, mais aussi à favoriser une croissance durable, réduisant ainsi naturellement le poids de la dette.

 

Vers une disruption du modèle budgétaire


Plutôt que de se limiter à un rôle de régulateur, un État endetté peut adopter une posture plus proactive en devenant lui-même un acteur économique. Cela signifie investir dans des secteurs stratégiques, exploiter des monopoles temporaires et innover dans la gestion de ses finances publiques.
Une piste consiste à instaurer un monopole d’État sur certaines technologies émergentes. Par exemple, un pays pourrait décréter que toutes les bases de données publiques (cartographie, santé, énergie) sont accessibles uniquement via une plateforme nationale monétisée, obligeant les entreprises tech à s’y conformer.
L’introduction du timbre numérique génère des économies substantielles et renforce l’efficacité administrative.
Autre levier : la blockchain pour optimiser la gestion des finances publiques. Certains États expérimentent déjà des registres décentralisés pour réduire la fraude fiscale et améliorer la transparence budgétaire. Une meilleure traçabilité des dépenses permettrait d’économiser des milliards et d’éviter des coupes inutiles.
Enfin, un État peut se positionner comme un investisseur stratégique, prenant temporairement des participations dans des entreprises clés avant de revendre ses parts à un moment optimal. Loin d’un interventionnisme rigide, cette approche vise à maximiser la valeur des actifs publics et à en faire un levier de désendettement dynamique.

 

Transformer la dette : d’un fardeau à un levier d’avenir


Loin des dogmes de l’austérité ou de l’endettement perpétuel, il existe des voies alternatives pour assainir les finances publiques sans compromettre la croissance ni l’innovation. 
Le désendettement ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen de renforcer la souveraineté économique et de préparer l’avenir. En abandonnant une vision purement comptable au profit d’une stratégie proactive, les nations peuvent non seulement réduire leur dette, mais aussi bâtir un modèle plus résilient et adapté aux transformations du XXIᵉ siècle.
Gérer la dette, ce n’est pas seulement équilibrer des colonnes de chiffres, c’est écrire l’avenir avec des ressources souvent cachées à la vue de tous.

 

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