Dompter l’inflation sans briser l’élan économique.
Dompter l’inflation sans briser l’élan économique.
Par
Jamel
BENJEMIA
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L’inflation, ce spectre qui hante les nations, s’impose comme l’un des défis économiques les plus redoutables de notre époque. Lorsqu’elle s’emballe, elle érode le pouvoir d’achat, sape la confiance des agents économiques et menace la stabilité sociale. À l’inverse, une politique trop rigoureuse de désinflation, en freinant brutalement l’activité, peut conduire à un ralentissement économique délétère. L’équilibre est d’autant plus difficile à trouver que les dynamiques inflationnistes varient selon les contextes : résultant tantôt d’une demande excessive, tantôt d’une flambée des coûts ou de déséquilibres monétaires structurels. La réponse ne saurait dès lors se limiter à une stricte orthodoxie monétaire. Si le relèvement des taux d’intérêt demeure un outil central, il ne saurait constituer une panacée. Face à une inflation importée ou alimentée par des rigidités structurelles, d’autres leviers doivent être actionnés : maîtrise des circuits de formation des prix, régulation des distorsions du marché du travail et soutien aux secteurs productifs. C’est dans cette articulation subtile entre ajustements monétaires, politiques budgétaires ciblées et réformes structurelles que réside la clé d’une stabilisation efficace des prix, sans compromettre la dynamique économique. Dès lors, comment contenir l’inflation sans étouffer la croissance ? Ce dilemme, au cœur des débats économiques actuels, reflète la complexité d’un phénomène aux multiples visages. C’est cette problématique que nous explorerons.
Identifier les sources réelles de l’inflation
La première étape d’une stratégie efficace réside dans la compréhension fine des mécanismes inflationnistes. Classiquement, l’inflation est attribuée à deux grandes forces : une demande excessive alimentée par une politique monétaire accommodante et une inflation importée due à la flambée des coûts des matières premières et des biens intermédiaires. Toutefois, dans des économies comme celle de la Tunisie, un facteur majeur est souvent sous-estimé : l’augmentation rapide de la masse monétaire en circulation.
En février 2025, la Tunisie a enregistré un volume record de billets et monnaies en circulation (BMC), atteignant près de 23 milliards de dinars, soit une progression de 7,8 % en un an. Cette explosion monétaire, en partie alimentée par un secteur informel pesant près de 37 % du PIB, s’explique par une défiance croissante envers le système bancaire. La mise en place de la nouvelle réglementation sur l’utilisation des chèques a accentué le phénomène en favorisant le recours au numéraire. Lorsque la masse monétaire enfle plus rapidement que la production réelle, c’est comme si l’on versait trop d’eau dans un moulin à débit limité : la machine s’emballe, créant une montée inexorable des prix.
Une politique anti-inflation efficace dépasse le resserrement monétaire : moderniser la finance, intégrer le secteur informel et mieux piloter la création monétaire sont essentiels.
Ajuster la politique monétaire sans étouffer l’investissement
L’arme traditionnelle des banques centrales contre l’inflation reste le relèvement des taux directeurs. En augmentant le coût du crédit, elles freinent la consommation et l’investissement, réduisant ainsi la pression sur les prix. Toutefois, cet outil peut s’avérer contre-productif dans des économies où l’accès au financement est déjà restreint.
En Tunisie, la hausse du taux du marché monétaire (TMM) imposée par la Banque centrale s’est traduite par un ralentissement marqué du crédit aux entreprises, fragilisant un tissu économique largement composé de PME. Un resserrement excessif du crédit freine l’initiative privée et renforce le secteur informel. En limitant l’investissement, il aggrave paradoxalement les tensions inflationnistes. Il convient donc d’adopter une approche plus équilibrée : privilégier une régulation fine du crédit en ciblant les secteurs à fort effet multiplicateur sur la croissance, tout en explorant des instruments alternatifs tels que des lignes de financement dédiées aux projets d’innovation et de transition énergétique. La stabilité monétaire ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen au service d’un développement économique durable.
Rééquilibrer la lutte contre l’inflation
L’approche conventionnelle de la lutte contre l’inflation repose souvent sur la réduction de la demande globale. Pourtant, cette vision ignore un levier essentiel : l’offre. Plutôt que de contenir l’inflation par un ralentissement économique, il convient d’agir en amont en stimulant la production et en maîtrisant les chaînes d’approvisionnement.
Un élément central de cette dynamique est la politique énergétique. Dans un monde marqué par la volatilité des prix des matières premières, sécuriser les approvisionnements en énergie et encourager la transition vers des sources renouvelables peut significativement réduire l’impact des chocs exogènes sur l’inflation. De même, le développement d’une industrie locale plus compétitive et la diversification des sources d’importation permettraient d’atténuer la dépendance aux fluctuations des marchés internationaux.
Par ailleurs, l’amélioration de la logistique et la modernisation des infrastructures de transport réduiraient les coûts intermédiaires pesant sur les prix finaux. L’État doit ainsi assumer un rôle plus actif dans la régulation des marchés en veillant à fluidifier les échanges et à limiter les rentes abusives qui alimentent une inflation décorrélée des fondamentaux économiques.
Préserver le pouvoir d’achat sans nourrir l’inflation
La préservation du pouvoir d’achat est au cœur de toute politique économique crédible. Or, l’erreur fréquente consiste à répondre aux tensions inflationnistes par des hausses généralisées des salaires, créant un effet de second tour où l’augmentation du revenu disponible stimule la demande, nourrissant ainsi la spirale inflationniste.
Une alternative plus vertueuse réside dans l’indexation ciblée des rémunérations, adaptée aux secteurs les plus exposés, combinée à une politique volontariste en matière de prix régulés. Les subventions, souvent décriées pour leur coût budgétaire, peuvent être redéployées de manière plus efficiente en ciblant les produits de première nécessité et en favorisant l’accès aux biens de base plutôt qu’en maintenant des aides généralisées.
Un levier souvent négligé est la fiscalité. Réduire la pression fiscale sur les classes moyennes tout en luttant contre l’évasion fiscale permettrait de redonner du pouvoir d’achat sans alourdir l’endettement public. La stabilité sociale passe par un équilibre subtil entre revalorisation salariale et maîtrise des coûts structurels de la vie quotidienne.
Une nouvelle gouvernance : dépasser les solutions binaires
Les débats économiques sont souvent polarisés entre partisans d’une austérité rigoureuse et défenseurs d’une politique expansionniste. Pourtant, ces approches binaires montrent leurs limites. L’enjeu n’est pas de choisir entre croissance et stabilité, mais d’inventer une nouvelle gouvernance capable de concilier les deux.
Cette gouvernance doit s’appuyer sur une approche intégrée, combinant une politique monétaire agile, une régulation des marchés efficace et un cadre budgétaire flexible. La coordination entre les différentes institutions – banque centrale, gouvernement, acteurs économiques – devient essentielle pour éviter les décisions en silo, souvent inefficaces voire contradictoires.
Enfin, la réussite d’une telle stratégie repose sur un facteur fondamental : la confiance. L’incertitude et la volatilité sont des amplificateurs d’inflation. Un cadre institutionnel stable, des décisions économiques cohérentes et une communication transparente sont les meilleurs remparts contre les anticipations inflationnistes incontrôlées.
Lutter contre l’inflation sans casser la dynamique économique exige une approche équilibrée, loin des dogmes rigides et des réponses simplistes. Loin de se résumer à une simple hausse des taux, la solution passe par une révision en profondeur des mécanismes de régulation monétaire, une relance ciblée de l’offre et une gouvernance économique fondée sur la coordination et la prévisibilité.
La Tunisie, comme bien d’autres économies émergentes, est confrontée à un dilemme : contenir l’inflation tout en maintenant un cap de croissance soutenable. Ce défi ne se relèvera ni par un interventionnisme excessif ni par un laissez-faire aveugle, mais par une approche pragmatique, ancrée dans les réalités structurelles du pays. Dompter l’inflation, c’est refuser d’arbitrer entre croissance et stabilité. C’est bâtir une économie où la rigueur monétaire sert l’ambition productive et où chaque décision alimente la confiance collective.
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