Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le frémissement du monde vient de l’Afrique.

11 Mai 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal Le TEMPS 11/05/2025 Publié dans #Articles

Le frémissement du monde vient de l’Afrique.

    Par

Jamel

BENJEMIA                               

                                   

Longtemps reléguée aux marges des récits dominants, l’Afrique s’avance aujourd’hui comme le cœur battant d’un nouvel ordre en gestation. Là où certains ne voyaient que chaos et dépendance, surgissent des forces neuves, des pensées libres, des peuples debout. Ce n’est pas un retour, c’est une naissance. À l’heure où vacillent les certitudes du Nord, le Sud murmure déjà les promesses d’un monde réinventé. Une rumeur de croissance s’élève, légère mais tenace, semblable à une mélodie ancienne retrouvant ses harmonies dans le tumulte des vents contraires. Selon les dernières estimations du Fonds monétaire international, l’Afrique subsaharienne connaîtra une croissance de 4,2 % en 2025, avec des envolées au-delà des 6 % dans plusieurs pays. Ce frémissement n’est pas un simple chiffre : c’est un souffle, un battement, peut-être le prélude d’un nouvel acte. Mais cette symphonie naissante résonne sur des portées fragiles. Les notes de l’endettement, du dérèglement climatique, des instabilités politiques et des fractures structurelles menacent sans cesse de rompre l’harmonie. Le continent danse entre promesse et précipice, entre l’espoir d’un essor souverain et le risque d’un retour au silence. Pour comprendre ce moment suspendu, cette promesse d’aurore, il faut scruter les dynamiques profondes : discerner les moteurs véritables de cette reprise, dévoiler les failles qui la guettent, et surtout, explorer les chemins qui pourraient transformer l’élan en destin.

Des locomotives africaines en mouvement

Le rebond africain n’est ni uniforme, ni automatique. Il repose sur la performance remarquable de certaines économies résilientes, souvent petites, mais agiles. Parmi les neuf pays appelés à dépasser les 6 % de croissance en 2025 figurent le Rwanda, le Bénin, le Niger, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie ou encore la Guinée. À elle seule, cette dernière pourrait enregistrer une croissance spectaculaire de 7,1 % en 2025, propulsée par l’entrée en production du gisement de fer de Simandou, l’un des plus vastes au monde.

Cet essor, souvent stimulé par les ressources naturelles, n’est pas une nouveauté. Ce qui change, c’est l’ambition de certains États d’en faire un levier de transformation structurelle. Le Bénin mise sur l’industrialisation légère et les services logistiques pour devenir un hub régional. Le Rwanda, quant à lui, continue de se distinguer par ses politiques publiques rigoureuses et son attractivité pour les investissements.

Des vulnérabilités persistantes : les failles sous la surface

Sous les auspices d’une reprise encourageante, l’Afrique avance, mais sur une arête étroite. Car si la croissance revient, elle ne repose pas encore sur des fondations suffisamment solides pour résister aux vents contraires. Le continent est pris dans une tension entre potentiel et précarité, entre élans conjoncturels et fragilités structurelles.

Première faille : l’énergie. À quoi bon extraire le minerai si les machines s’éteignent par manque d’électricité ? De Johannesburg à Conakry, les délestages ne sont plus l’exception mais la norme. L’Afrique du Sud, pourtant puissance industrielle, vit au rythme des coupures. La Guinée, elle, pourrait quintupler ses ambitions minières, à condition que sa logistique énergétique s’élève enfin à la hauteur des enjeux. Sans sécurité énergétique, il n’y a ni industrialisation durable, ni croissance inclusive. L’électricité n’est pas qu’un flux : elle est l’infrastructure invisible de tout développement.

Seconde fissure : la dette. Plus de vingt pays sont classés à haut risque de surendettement. Le service de la dette, notamment extérieure, absorbe une part croissante des ressources publiques, comprimant l’investissement productif et affaiblissant la résilience budgétaire. Le piège n’est pas seulement comptable, il est stratégique : une économie en croissance qui consacre ses marges à rembourser les dettes d’hier hypothèque son avenir.

Troisième vulnérabilité, plus insidieuse encore : le climat. Le paradoxe est cruel. L’Afrique contribue à peine aux émissions mondiales, mais en subit déjà les premiers ravages. Sécheresses persistantes, crues destructrices, invasion de sauterelles : autant de menaces qui sapent les rendements agricoles, accentuent l’insécurité alimentaire, et déplacent les équilibres sociaux. Si rien n’est fait, le changement climatique pourrait devenir le fossoyeur silencieux des avancées économiques.

« Réparer la toiture, quand le soleil brille », disait Kennedy. Encore faut-il que le toit tienne — et que le ciel ne s’assombrisse pas trop vite.

Les défis structurels de la convergence

Derrière l’élan retrouvé de la croissance africaine, se cache un constat plus nuancé : la convergence tant espérée avec le reste du monde demeure hors de portée. Rapportée à une démographie galopante, la progression du PIB par habitant en Afrique subsaharienne plafonnera à 1,7 % en 2025 — un rythme trop lent pour transformer les conditions de vie, absorber les millions de jeunes entrant chaque année sur le marché du travail, ou atteindre les objectifs de développement durable.

Cette croissance sans inclusion est un mirage : brillante de loin, mais insaisissable de près. Car la vraie question n’est plus tant de croître que de croître autrement. L’extraction brute de ressources alimente les bilans, mais ne bâtit pas de prospérité pérenne. Il faut enraciner la valeur sur place : par l’industrialisation, la transformation locale, l’intégration régionale. Il faut investir non seulement dans les infrastructures, mais dans les intelligences. C’est dans une jeunesse instruite, soignée, formée, que réside le plus sûr levier du développement.

Mais cette ambition technique exige un socle politique solide. Le capital humain a besoin du capital politique : une gouvernance qui planifie, répartit équitablement les fruits de la croissance et donne à chacun le sentiment d’appartenir à un projet commun. La convergence ne viendra pas d’une mécanique économique seule, mais d’une vision cohérente, où chaque progrès quantitatif s’arrime à un saut qualitatif.

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article