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Géoéconomie et populisme en Occident : L’alliance des passions et des intérêts.

1 Juin 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 01/06/2025 Publié dans #Articles

Géoéconomie et populisme en Occident :

L’alliance des passions et des intérêts.            

    Par

Jamel

BENJEMIA                               

                
                            

Dans le fracas discret des diplomaties et le tumulte des parlements, une nouvelle grammaire se déploie, tissée d’orgueil national et de calculs froids. La géoéconomie, jadis reléguée aux marges des traités commerciaux, s’impose désormais comme le cœur battant des relations internationales. Mais ce cœur, loin d’être apaisé, pulse au rythme fiévreux des passions populistes occidentales. Là où l’économie parlait jadis le langage technocratique des taux et des équilibres, résonnent désormais des slogans, des frontières mentales et des colères collectives.

C’est une alchimie trouble : le feu du populisme attise les ressorts stratégiques de la géoéconomie, et celle-ci, en retour, offre au populisme la scène mondiale de ses ambitions. Les politiques industrielles deviennent des étendards, les barrières douanières, des murailles identitaires, et les accords commerciaux, des armes à double tranchant dans les mains d’apprentis forgerons de souveraineté.

Ainsi se dessine une époque étrange, où les cartes du monde ne se tracent plus à l’encre des traités mais à la braise des ressentiments. Le populisme souffle sur les braises du monde, et la géoéconomie devient l’écho stratégique de ses tempêtes. Un mélange aussi explosif que fascinant, où les nations ne cherchent plus seulement à croître, mais à triompher.

Le retour du politique dans l’économique

Il fut un temps, pas si lointain, où l’économie semblait flotter au-dessus des passions humaines, régie par les lois tranquilles du marché, comme un ciel clair d’orthodoxie néolibérale. Le commerce portait alors la promesse d’une paix universelle ; les flux de capitaux, d’idéaux et de marchandises dessinaient les contours d’un monde rationnel, délié des fureurs du passé.

Pourtant, au cœur de cette illusion, la financiarisation a discrètement remodelé les économies occidentales : en déracinant l’activité productive au profit de la spéculation, elle a vidé de sens les souverainetés économiques, tout en creusant les frustrations populaires. Elle fut ainsi le pont paradoxal entre l’économie prétendument dépolitisée des années 1980–2000 et le retour brutal du politique au cœur des arbitrages économiques. L’histoire, fidèle à ses soubresauts, n’a jamais aimé les lignes droites.

Aujourd’hui, la géoéconomie surgit, telle une marée montante, mêlant la logique des armes à celle des balances commerciales. L’économie n’est plus une sphère autonome, elle devient instrument de puissance, bras armé de la politique. L’illusion de la neutralité cède sous le poids des stratégies de confrontation. Les droits de douane se muent en menaces, les monnaies en leviers d’influence, les chaînes de valeur en champs de bataille invisibles.

Trump, la Chine, l’euro numérique : autant de signes que le langage du pouvoir s’écrit désormais en équations politiques. Ce n’est plus la main invisible, mais la main ferme des États qui guide les échanges. Le marché n’est plus un espace de coopération, mais un théâtre de rivalités. L’économie, rattrapée par la géopolitique, redevient tragédie humaine.

La revanche des nations

Sous les oripeaux fatigués du progrès globalisé, le populisme a surgi comme un cri ancien, une plainte profonde de peuples rendus invisibles. Il est la voix des oubliés, des exilés de l’intérieur, qui dressent les frontières non seulement contre l’étranger, mais contre l’élite, le système, le monde lui-même. Porté par des figures à la rhétorique incendiaire, le populisme économique ne calcule pas : il accuse, il désigne, il venge.

Dans ce théâtre d’ombres, le déficit commercial devient une trahison, le libre-échange un poison, et l’industrie délocalisée le tombeau de la grandeur nationale. Chaque usine fermée, chaque emploi perdu, devient un symbole, une blessure mémorielle. Alors, le populisme promet non plus de redistribuer, mais de restaurer : restaurer la souveraineté, la dignité, l’ordre des choses.

La politique industrielle renaît sous les traits d’un roman national : subventions comme rédemption, barrières douanières comme murailles protectrices. Ce n’est plus l’efficacité qui guide, mais l’identité. Et derrière chaque décision économique, ce sont les récits blessés de la nation qui s’écrivent à nouveau.

Ainsi, l’économie se plie à la dramaturgie populiste. Elle devient langue de combat, promesse de rédemption collective. Le peuple n’attend plus des résultats, mais des symboles. Et les chiffres cèdent la place aux mythes.

Convergences toxiques

Quand la stratégie froide de la géoéconomie rencontre la ferveur brûlante du populisme, naît un alliage instable, à la fois redoutablement efficace et foncièrement dangereux. Ce n’est plus seulement l’intérêt national qui guide les décisions, mais la mise en scène permanente de sa défense. Les frontières économiques deviennent des théâtres de guerre symbolique ; chaque taxe, une déclaration ; chaque embargo, une posture. Le politique se théâtralise, le commerce se politise.

Dans cette fusion, les discours populistes trouvent une caisse de résonance mondiale. L’ennemi extérieur chinois offre au populisme occidental un adversaire commode, tandis que la géoéconomie fournit les outils pour frapper, sanctionner, isoler. Les sanctions deviennent des étendards, les traités, des armes retournées. On ne négocie plus, on défie.

Mais ce jeu à somme négative ronge les fondations du multilatéralisme. Les règles communes s'effacent devant les rapports de force, les alliances se font et se défont au gré des ressentiments populaires. Le monde devient un échiquier mouvant où les rois parlent comme des tribuns, et les foules dictent l’agenda stratégique.

Ce n’est plus la raison qui gouverne l’économie, mais la passion. Et cette passion, attisée par la peur et l’orgueil, redessine le monde à coups de feu croisés.

Risques systémiques

Quand les nations troquent la coopération pour la confrontation, l’ordre mondial chancelle. La fusion entre géoéconomie et populisme, si séduisante pour les peuples en quête de repères, engendre un monde fragmenté, imprévisible, où l’instinct supplante la stratégie. Les chaînes de valeur, jadis tissées comme une tapisserie patiente entre continents, se déchirent, fil par fil, sous les assauts conjoints du nationalisme et du court-termisme. L’économie devient un champ de mines où chaque décision peut déclencher une onde de choc mondiale.

L’inflation des subventions, la multiplication des représailles douanières, l’extraterritorialité des sanctions : autant de signes d’un système en surchauffe. . Une élection peut faire trembler des bourses entières ; un tweet présidentiel, déplacer des milliards. Dans ce climat, les entreprises naviguent à vue, entre arbitrage stratégique et peur du faux pas.

Les pays du Sud, quant à eux, deviennent spectateurs ou pions. Marginalisés dans les grandes batailles technologiques, ils risquent d’être broyés entre les ambitions concurrentes des géants. À moins, peut-être, de tirer parti de cette guerre des titans pour redéfinir leur place.

Ainsi, un monde sans boussole s’installe. Et dans ce désordre organisé, les passions populaires deviennent des forces tectoniques, capables de faire vaciller les plus solides architectures.

Épilogue d’un monde en tension

À la croisée des passions identitaires et des intérêts stratégiques, l’économie mondiale entre dans une ère de frictions durables. Le populisme a réintroduit l’émotion dans des sphères que l’on croyait régies par la froideur des chiffres. La géoéconomie, en retour, a offert aux pulsions nationales un théâtre d’action, une grammaire des rapports de force, un vocabulaire pour dire la puissance autrement que par les armes.

Mais cette alliance n’est pas sans péril. En substituant la coopération par la confrontation, le long terme par l’instant politique, la logique systémique par la logique de l’affrontement, elle fragilise l’édifice global construit au fil de décennies d’interdépendance. Les traités se font plus fragiles, les alliances plus incertaines, et les équilibres plus précaires.

Pourtant, cette époque n’est pas seulement celle du repli. Elle est aussi celle des possibles : de nouvelles souverainetés peuvent émerger, plus enracinées, plus équilibrées, si elles ne cèdent pas entièrement aux sirènes de la démagogie.

À condition que les peuples se rappellent que dans l’histoire, les murs finissent toujours par tomber — mais les ponts, eux, laissent des traces durables.

Mais ces possibles ne sauraient se construire sur des fractures anciennes. Du plombier polonais à l’immigré musulman, ces figures stigmatisées sont les fissures visibles d’un édifice occidental qui se lézarde lentement. À force de bâtir des murs sur des peurs, c’est le ciment républicain qui s’effrite — et sans réfection morale, ce sont les fondations du vivre-ensemble qui risquent de s’effondrer dans un fracas aussi étouffé que profond.

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