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G7 et MAGA : deux cosmogonies irréconciliables du monde.

29 Juin 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS du 29/06/2025 Publié dans #Articles

G7 et MAGA : deux cosmogonies irréconciliables du monde.

 Par

Jamel

BENJEMIA                               

                                         

Il fut un temps où l’on croyait encore possible que l’ordre pût précéder la puissance, que les nations, dans le sillage des cataclysmes, sauraient s’unir pour coordonner la marche du monde. Ce temps portait un nom : le G7. Fondé en 1975 à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing et d’Helmut Schmidt comme un cercle réunissant six pays, auquel le Canada vint s’ajouter en 1976, le G7 naquit pour conjurer les désordres du pétrole, du dollar et du doute. Il visait aussi, en filigrane, à contenir l’influence croissante du monde arabe, soudé pour la première fois par une solidarité politico-énergétique manifeste lors de la guerre d’octobre 1973.

La même année 1973 marqua aussi la naissance de la Commission Trilatérale, conçue par Zbigniew Brzezinski et financée par David Rockefeller, un « Think Tank » transcontinental destiné à façonner les grandes lignes d’un nouvel ordre mondial. Dans un article publié dans le journal  Les Annonces du 22 janvier 1985, je l’ai qualifiée de « mystérieux gouvernement mondial », tant sa discrétion contrastait avec son ambition.

Tandis que la Trilatérale murmurait à huis clos l’aube d’une gouvernance globale, le G7, lui, débattait à visage découvert, tranchait les grandes orientations, et parlait encore la langue d’une souveraineté assumée.

Mais cette souveraineté a été minée. Le G7, aujourd’hui, n’est plus un directoire, mais un conclave sans effet. Il ne gouverne plus, il récite les dogmes d’un monde révolu, où la règle faisait loi et la parole engageait. Plus aucune fumée blanche ne s’élève de cette chapelle. Plus d’esprit, plus de souffle. Juste un encens fossilisé dans l’air moisi des certitudes anciennes. Pierre Haski le qualifie de « coquille vide ». C’est peut-être pire : un corbillard au ralenti, rampant dans la brume de l’oubli, où les puissances se réunissent par habitude, sans que rien ne les fédère vraiment, au plus un certain décorum, figé comme un rituel sans dessein.

Pendant ce temps, MAGA, le rejeton de la matrice trumpiste gronde. « Make America Great Again (MAGA) »  est un rejet viscéral de tout ce que représente le G7 : le multilatéralisme, la retenue, la nuance, le compromis. Là où le G7 incarne la stabilité par les règles, le modèle MAGA impose la domination par l’instinct. L’un parle ; l’autre force. L’un chuchote ; l’autre hurle.

Deux visions, deux langages

Ils se retrouvent parfois aux mêmes sommets, alignés pour les mêmes photos comme les soldats-tigre de la dynastie Qing, mais ils ne parlent déjà plus la même langue. D’un côté, le G7 : une diplomatie codifiée, pesée au milligramme, imprégnée d’un héritage westphalien où la légitimité procède de la continuité, du droit, et du consentement. De l’autre, le MAGA : une politique étrangère désinhibée, fondée sur la puissance immédiate, sur le bras tendu plutôt que la main tendue. Non une divergence de moyens, mais un gouffre ontologique.

Le G7 continue de croire que la parole tisse le monde, que la stabilité se forge dans l’équilibre et la coopération. C’est une diplomatie de la retenue, presque du murmure, s’accrochant à l’idée qu’un dîner peut désamorcer une guerre.

MAGA, lui, ne croit pas à l’équilibre, mais au rapport de force. Il ne s’adresse pas à ses alliés, mais à ses foules. Sa politique étrangère n’est pas une doctrine, c’est une liturgie. Il ne cherche pas la stabilité, mais la suprématie.

Derrière cette opposition de styles se cachent deux visions du monde irréconciliables. Le G7 envisage la scène internationale comme un théâtre où chacun a un rôle à jouer, dans le respect des règles établies. MAGA, lui, ne reconnaît ni scène, ni script, seulement une arène, où celui qui frappe le plus fort écrit les règles. L’un croit en l’ordre hérité ; l’autre, dans la force brute du fait accompli. Dans ce monde chamboulé, le multilatéralisme fut un temps une digue. Branlante, imparfaite, mais elle tenait. Elle contenait les passions, tenait les faucons en laisse, suspendait les crises. Aujourd’hui, cette digue a cédé. Le nouveau monde ne s’annonce pas, il éclate. Et ce qui se répand n’est pas une marée, mais un tsunami de débris issus d’un ordre rejeté.

L’ordre déclassé

L’ordre du monde ne s’effondre pas dans le silence, mais dans le fracas des conflits superposés. Ce qui vacille, ce n’est plus seulement une architecture diplomatique, mais l’idée même qu’un équilibre soit encore pensable. Loin des salons feutrés du G7, un choc frontal a récemment opposé l’Iran à Israël, non une simple escarmouche, mais une secousse tectonique, révélant la faillite de l’ordre ancien et l’impuissance de ses gardiens.

L’Iran n’a pas plié. Israël, en revanche, sort secoué, son « Dôme de fer » percé par des salves balistiques qu’il n’a pas su intercepter. Le mythe technologique s’est fendu comme une amphore antique sous les coups du réel.

Le G7, englué dans ses valeurs fanées, continue d’agir comme si la gouvernance mondiale avait conservé une once de crédit. Mais ce monde s’est brisé. Il a vacillé en Irak, puis s’est effondré sous les gravats de Gaza.

L’ONU est réduite au silence, le droit humanitaire foulé aux pieds, les discours moralisateurs révélés pour ce qu’ils sont : des postures creuses masquant des intérêts stratégiques. L’ère du double langage triomphe.

Ainsi, quand le G7 parle de « frappe défensive » pour maquiller une agression, il ne s’agit plus d’euphémisme : c’est une contorsion linguistique qui ferait rougir le droit international lui-même. L’AIEA, garante du régime de non-prolifération, s’est-elle aussi montrée étrangement silencieuse face aux frappes américaines visant des sites iraniens sous sa supervision, préférant dénoncer l’Iran pour quelques kilogrammes d’uranium déplacés. Le cynisme devient méthode. La mauvaise foi, doctrine. L’impunité, système.

On peut tromper les peuples un temps. On peut feindre l’aveuglement. Mais il y a des seuils au-delà desquels le ridicule devient fatal.

Le déluge n’est plus une menace. Il est là. Ce n’est plus la crise du multilatéralisme. C’est son enterrement progressif.

Épitaphe ou recommencement ?

Il n’existe pas de monde sans langage commun, seulement un monde de cris. Et c’est peut-être là que se trace la véritable ligne de fracture entre le G7 et l’élan MAGA : l’un croit encore aux mots, l’autre aux dynamiques du pouvoir. Mais que peuvent les mots quand les murs se fissurent, quand les symboles se creusent, quand les alliances s’atrophient dans l’indifférence stratégique ?

Le G7 n’est pas seulement dépassé, il est déconnecté. Il parle de contrôle, alors que le monde est entré dans l’ère de la saturation. Il promet la stabilité, alors que la géopolitique est devenue frénétique, fébrile, fondamentalement volcanique. Il raisonne en intérêts croisés, quand d’autres avancent par instincts divergents.

Et pourtant, il ne disparaît pas. Parce qu’il subsiste un souvenir tenace, celui d’un monde où le pouvoir devait se légitimer par le droit. D’un équilibre, si fragile soit-il, mais encore pensable. Ce vestige est désormais porté comme un cadavre diplomatique en procession funèbre par les derniers survivants d’un ordre déchu. De son côté, MAGA ne pleure rien : il célèbre.

Mais dans ce duel déséquilibré, une autre figure reste floue : celle de l’Europe. Trop douce pour dominer, trop divisée pour unir, trop lucide pour croire encore au vieux monde. Elle oscille, tergiverse, tend l’oreille, cherchant une voix dans la cacophonie ambiante. Peut-être est-ce à elle que revient le dernier mot, non pour prolonger les rites du G7, ni pour singer les réflexes de MAGA,  mais pour proposer une autre narration, fondée non sur la nostalgie d’un ordre disparu, ni sur la brutalité d’un ordre imposé, mais sur la réinvention patiente d’un monde viable et vivable.

Ce serait là un pari immense. Il ne s’agit plus de préserver un équilibre : il faut en inventer un autre. Non par diplomatie, mais par audace. Non dans la peur du chaos, mais dans l’ébauche lucide d’un monde au service de l’humain. Mais encore faut-il le vouloir.

L’histoire n’attend pas. Elle déferle, ou s’infiltre, mais jamais, elle ne recule.

 

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