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Quand la fortune des uns creuse la faim des autres

9 Novembre 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 9/11/2025 Publié dans #Articles

Richesse et pauvreté:

Quand la fortune des uns creuse la faim des autres

Par Jamel BENJEMIA

Il est des rapports qui ne se lisent pas comme des études mais comme des miroirs. Celui que le G20 consacre aux inégalités appartient à cette espèce rare : derrière les tableaux chiffrés, on y entend la rumeur d’un monde fracturé, la plainte des oubliés, le vertige d’une prospérité devenue abstraction. Sous le vernis des pourcentages, c’est l’histoire d’une humanité qui s’évalue à la balance de ses écarts et qui, peut-être, commence à douter de ce qu’elle pèse encore d’humain.

Le rapport dirigé par le prix Nobel Joseph Stiglitz s’ouvre comme une autopsie du siècle : le corps du monde y gît, disloqué par ses propres écarts.
83 % des pays affichent un coefficient de Gini supérieur à 0,4, signe d’une fracture qui n’est plus sociale mais structurelle.
Le 1 % le plus riche a capté 40 % de la richesse produite depuis l’an 2000, tandis que la moitié de l’humanité n’en a reçu qu’un seul pour cent.

Ces chiffres, austères en apparence, sont des plaies ouvertes : ils révèlent une vérité que les puissants feignent d’ignorer.
L’inégalité n’est plus un accident de parcours, mais le moteur même de l’économie mondiale.

La richesse s’est muée en forteresse, la pauvreté en frontière. Là où s’accumule le capital, le pouvoir s’installe ; là où il manque, la dignité s’effrite. Ce déséquilibre n’a rien de naturel : il est le produit d’une domestication du monde par les marchés, d’une croyance obstinée selon laquelle le profit serait la langue universelle du progrès.

Le règne de la rente

Au fil des pages, les experts du G20 reconnaissent que le travail n’est plus la mesure de la richesse.
Dans plus de la moitié des pays, la part du revenu allant au capital s’accroît tandis que celle du travail décline.
On ne récompense plus l’effort mais la détention, non la création mais la spéculation.
L’économie s’est détachée de la main qui produit pour glorifier celle qui possède.

Ce glissement a corrompu le contrat social.
La réussite devient privilège héréditaire, l’entreprise devient empire.
Les fortunes se transmettent désormais plus vite qu’elles ne se créent : mille milliardaires s’apprêtent à léguer cinq mille milliards de dollars à leurs héritiers, presque sans impôt.
Le capital est devenu immortel, les pauvres, eux, continuent de mourir jeunes.

La dérégulation des marchés, la privatisation des biens publics, la baisse de l’impôt sur les sociétés, la montée des taxes sur la consommation : autant de lois scélérates qui ont déplacé le poids de l’effort vers ceux qui n’ont rien et sanctifié ceux qui ont tout.

L’ombre portée du centralisme

Si le rapport établit le diagnostic, il reste prisonnier de sa verticalité.
Il imagine la réparation depuis les sommets, comme si la guérison devait venir des institutions qui ont contribué au mal.
L’idée d’un International Panel on Inequality en est le symbole : l’intention est noble, mais la démarche ignore le réel.

La misère ne se combat pas depuis les balcons du pouvoir mondial, mais à hauteur de visage.

Ce centralisme tue l’initiative locale, étouffe la créativité sociale, réduit les peuples à des variables.
Une humanité administrée depuis le centre perd le goût de se penser depuis la périphérie.

La véritable guérison naîtrait des territoires, des coopératives, des associations, des communautés qui, chaque jour, réinventent la dignité par le partage et la connaissance.

La démocratie en sursis

L’inégalité fracture le pouvoir avant de fracturer les revenus.
Dans les pays aux écarts extrêmes, le risque de dérive autoritaire est sept fois plus élevé.
Là où la richesse se concentre, la parole se confisque, le sens se monnaie.
Les médias, les lois, les campagnes électorales finissent par servir ceux qui peuvent les acheter.

La misère n’exclut plus seulement, elle efface.
Dans une société où tout s’achète, la liberté devient une monnaie : ceux qui n’en ont pas sont condamnés au silence.

L’inégalité détruit la confiance, et sans confiance, aucune démocratie ne survit.

Le faux universalisme du marché

La mondialisation avait promis l’abondance.
Elle a produit la dépendance.
Les pays du Sud ont exporté leurs ressources et importé leur manque.
La finance, les brevets, les arbitrages privés entre investisseurs et États ont formé une cage dorée où l’économie réelle s’est lentement asphyxiée.

La pandémie a révélé la cruauté de ce modèle : les vaccins se distribuaient selon le PIB, non selon la souffrance.
La crise climatique enfonce le clou : les plus frappés sont ceux qui n’ont presque rien émis.

Le marché n’est pas universel.
Il n’est qu’une idée particulière prétendant valoir pour tous.

Vers un humanisme de la répartition

Le monde n’a pas besoin d’une croissance infinie mais d’une respiration juste.
La prospérité n’est pas la vitesse de l’accumulation, mais la qualité du partage.

Réinventer la répartition, c’est rendre à la richesse son sens : circuler.

Cela exige du courage : désobéir aux dogmes, préférer la justice à la performance, la dignité à la dette.
Les sociétés qui l’oseront n’y perdront pas leur prospérité : elles y retrouveront leur âme.

La mesure des âmes

Peut-être retiendra-t-on que le XXIᵉ siècle fut celui où la richesse triompha de la raison avant d’être renversée par la nécessité.
Car l’excès est une forme de ruine, et l’injustice, une fatigue du monde.
Les civilisations ne s’effondrent pas de pauvreté mais d’indifférence.

Viendra le jour où la liberté d’un enfant affamé pèsera plus lourd que la fortune d’un fonds d’investissement.
Ce jour-là, l’humanité aura franchi le seuil qui sépare la puissance de la grandeur.

Tant que le monde comptera ses fortunes avant ses enfants, il ne connaîtra ni paix, ni dignité, ni avenir.

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Les Stablecoins ou la dollarisation 2.0

2 Novembre 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 02/11/2025 Publié dans #Articles

 

Les Stablecoins ou la dollarisation 2.0

Par Jamel BENJEMIA

Le mot semble paisible, presque rassurant. Stablecoin, mot neuf gonflé de promesses, évoque une monnaie sans vertige, libérée des caprices du marché, tenue par la rigueur tranquille d’un code.

Mais la stabilité n’est jamais un état, seulement une respiration entre la confiance et la peur. Ces jetons numériques, que l’on présente comme la maturité financière de notre temps, reposent sur un vide : celui de la garantie publique.
« Leur solidité dépend d’un contrat privé, non d’une promesse d’État », rappelait l’économiste Éric Monnet dans le journal Le Monde du 19-20 octobre 2025. Leur sécurité n’est pas l’expression d’une souveraineté, mais la fiction d’un équilibre provisoire.

Dans les pays du Sud, où les monnaies s’épuisent, ces jetons deviennent des refuges. On y transfère le salaire d’un fils expatrié, on y protège une épargne fragile, on y loge ce qu’il reste de confiance. Le Stablecoin, miroir d’espérance, paraît incorruptible. Pourtant, ce havre numérique dissimule une dépossession lente.
À mesure que le billet vert se démultiplie en milliards d’unités numériques, les nations qui l’adoptent s’éloignent d’elles-mêmes. Ce ne sont plus leurs banques qui frappent la monnaie, mais des plateformes sans ancrage. Et, sans s’en apercevoir, elles abandonnent la clé de leur destin pour la commodité d’une application.

La stratégie du leurre

L’empire d’hier portait des uniformes ; celui d’aujourd’hui se dissimule dans les poches. Il ne conquiert plus, il convainc. Sous les atours séduisants de l’innovation, il parle la langue du progrès et, sous prétexte de simplifier la vie, redessine la carte du pouvoir.
La loi américaine « Genius Act », adoptée en 2025, n’a pas inventé le phénomène : elle l’a consacré. En encadrant les Stablecoins libellés en dollars, Washington a offert à sa devise un empire sans frontières, celui du numérique.

Chaque transaction indexée sur le dollar devient une lueur dans la sphère d’influence américaine.

Ce n’est plus la diplomatie des États, mais celle des flux. Une domination sans bruit ni armée, avançant sous le masque du service financier. Le dollar n’a plus besoin de s’imposer : il s’infiltre. Il ne gouverne plus par la force, mais par la fluidité. Et l’humanité, croyant s’émanciper, entre dans un empire de verre, celui de la monnaie privatisée, rendue docile par la promesse d’efficacité.

L’Europe, puissance lente

L’Europe regarde cette mutation avec la gravité d’un vieux continent conscient de ses lenteurs. L’eurodéputée Aurore Lalucq, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires au Parlement européen, l’a formulé dans la même édition du journal Le Monde : « Renoncer à l’euro numérique, c’est renoncer à la souveraineté monétaire elle-même. »
Car la dépendance ne se mesure plus en dette, mais en infrastructures. Aujourd’hui déjà, 99 % des paiements européens transitent par des réseaux américains. Demain, si les Stablecoins s’imposent, l’euro deviendra convertible mais non souverain.

L’Europe, jadis forge de la monnaie moderne, voit son autorité s’éroder dans la fluidité d’un système qu’elle ne maîtrise plus. Elle débat de sécurité, d’éthique, de droit, pendant que le monde construit. La monnaie, naguère levier du politique, s’est muée en simple service technique. Ce n’est plus la puissance qui crée la confiance, mais la vitesse.

Et pendant que l’Amérique privatise la confiance, l’Europe continue de la réglementer, geste noble mais impuissant. La règle rassure sans protéger.

 Le Sud, laboratoire de la dépossession

Dans les marchés de Lagos, de Bogota ou de Dacca, les Stablecoins se sont imposés sans décret ni violence. On les utilise parce qu’ils fonctionnent, là où les monnaies locales chancellent. Les diasporas s’en servent pour envoyer de l’argent, les États pour retarder l’effondrement de leur système de paiement.
Peu à peu s’installe une dépendance invisible, non plus subie mais intériorisée. Ce n’est plus la domination politique, c’est l’abdication monétaire. Les peuples confient leur avenir à des plateformes étrangères, croyant y trouver refuge.
Mais quand la monnaie n’appartient plus à la nation, tout vacille avec elle : la politique, la production, la confiance. Le code ne frappe pas, il remplace. Dans son silence logique, il efface la volonté des hommes.

 L’euro numérique : un acte de mémoire

Face à cette mutation silencieuse, l’euro numérique apparaît comme un geste de résistance. Agnès Bénassy-Quéré, secrétaire générale adjointe au Trésor français, et François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, « ne parlent pas de modernisation, mais de continuité ».
L’euro numérique n’a pas vocation à concurrencer les cryptomonnaies ; il s’appuie sur le registre distribué, technologie jadis symbole d’anarchie, devenue le socle d’un ordre concerté.

Le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets, c’est-à-dire Règlement sur les marchés de cryptoactifs en français) en dessine les frontières : transparence, responsabilité, supervision. Loin des illusions libertariennes, il rappelle que la monnaie n’est pas un produit, mais une promesse. Elle ne vit que comme œuvre collective, car elle engage la parole d’un peuple.
Ainsi l’Europe tente de rendre à la finance abstraite une âme et à la modernité une morale, en apprivoisant la « tokénisation », cette alchimie nouvelle qui consiste à transposer un actif réel dans la clarté numérique d’une blockchain, et en cherchant avec le Sud les linéaments d’une souveraineté partagée.

La monnaie, miroir de la démocratie

Quand Aurore Lalucq affirme que « toucher à la monnaie, c’est toucher à la démocratie », elle ne fait pas image : elle énonce une vérité fondatrice. La monnaie, c’est la confiance rendue tangible, le « nous » rendu visible par le chiffre.
Les Stablecoins, en fractionnant cette confiance, détruisent ce qu’ils prétendent garantir. Chaque transaction devient un acte sans visage, chaque utilisateur un atome sans ancrage.
Une société qui délègue à des algorithmes la garde de sa valeur perd peu à peu la mémoire de sa propre mesure. La stabilité promise n’est qu’un présent figé, où l’histoire cesse de battre.

Pour une souveraineté augmentée

L’Europe détient la science, le Sud la vitalité. Entre ces deux forces s’esquisse une espérance : bâtir une souveraineté augmentée, une monnaie publique capable de respirer dans le monde numérique sans trahir son humanité.
Le registre distribué, longtemps perçu comme menace, peut devenir instrument d’équité, à condition que la main qui le gouverne reste celle du droit.
L’innovation, pour être féconde, doit se souvenir de la lenteur du sens. Le progrès n’a de valeur que s’il garde un visage.

L’ombre du code

Le péril des Stablecoins ne vient pas de leur volatilité, mais de leur séduction. Lorsqu’un peuple croit qu’un algorithme vaut mieux qu’un État, la souveraineté a déjà changé de camp.
La monnaie n’est pas un outil : c’est une mémoire vivante, une alliance entre les morts qui ont bâti la cité et les vivants qui la poursuivent. L’oublier, c’est livrer la démocratie à la froideur du calcul.
Entre le visage humain et le visage du code, il faudra choisir celui que nous voulons reconnaître demain. Car une monnaie n’est jamais neutre : elle dit le lien, la confiance, le destin collectif.

Et pour la Tunisie, l’enjeu ne relève plus du débat théorique. Il s’agit de préserver la souveraineté monétaire avant qu’elle ne se dissolve dans l’économie dématérialisée du monde.

Comme je l’écrivais dans le journal Le Temps du 9 juillet 2023, le dinar numérique n’est pas une fantaisie technologique, mais une exigence historique, un espoir capable de refonder notre système financier. Il redonnerait à la nation la maîtrise de ses échanges, sécuriserait les transferts de la diaspora, limiterait la dollarisation rampante et placerait la Tunisie dans le concert des États qui osent gouverner la technologie au lieu de la subir.

Le XXIᵉ siècle ne pardonnera pas aux nations qui auront tardé à défendre la valeur de leur propre sceau monétaire, cette empreinte par laquelle un peuple se reconnaît et se perpétue.
Il faut à la Tunisie un dinar numérique souverain, enraciné dans la confiance publique, adossé à la Banque centrale et porté par la volonté du peuple.
Alors seulement, la modernité cessera d’être un mirage pour redevenir un horizon : celui d’un pays capable de se réinventer sans se trahir, d’avancer vers le futur sans perdre la mémoire de son âme.

Les Stablecoins ou la dollarisation 2.0
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L’IA agentique : la machine qui rêve et agit

26 Octobre 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 26/10/2025 Publié dans #Articles

 

L’IA agentique : la machine qui rêve et agit

Par Jamel BENJEMIA

L’intelligence artificielle n’est plus un outil docile ; elle s’impose désormais comme le miroir le plus téméraire de l’esprit humain. Depuis ses balbutiements algorithmiques jusqu’aux architectures neuronales, elle a cherché à imiter la pensée sans jamais en épouser l’intention. On lui a appris à parler, à peindre, à composer, à traduire le monde, sans jamais vraiment y entrer.

L’IA générative, née de l’alchimie des probabilités et des neurones artificiels, en incarne l’éclat le plus spectaculaire. Elle écrit, imagine, tisse des images, des symphonies ou des récits ; elle reproduit le style sans saisir l’âme. Sa force est celle du verbe, sa limite celle de l’action. Elle fascine par la suggestion, mais demeure prisonnière de la page, condamnée à frôler le réel sans jamais l’habiter.

Là où la générative invente, la prédictive anticipe ; deux visions jumelles, l’une tournée vers l’imaginaire, l’autre vers le calcul du probable.

Puis surgit une espèce nouvelle d’intelligence, aussi insaisissable qu’une volonté naissante, aussi prophétique qu’un instinct collectif : l’IA agentique. Issue du même alphabet numérique, elle ne se contente plus de générer ni de prévoir : elle agit. Elle perçoit un objectif, conçoit une stratégie, décide, accomplit et apprend. Ce n’est plus une interface que l’on consulte, mais un acteur numérique, un être opératoire qui raisonne en tâches et non plus en phrases.

Pour la première fois, la machine ne simule plus seulement la pensée : elle initie le mouvement. Elle exécute sans assistance, planifie sans surveillance, corrige sans relâche. Elle n’a ni fatigue ni sommeil ; pourtant, elle déploie cette forme d’attention soutenue que l’on croyait réservée à la conscience. Elle ne raconte plus le monde : elle le traverse.

Le souffle de l’autonomie

Toute IA agentique repose sur une ossature cognitive en quatre temps : percevoir, raisonner, agir, se souvenir. Ce qu’elle perçoit est un univers réticulé, traversé de signaux, d’interactions et d’intentions humaines.

Elle raisonne selon les logiques mouvantes du contexte. Elle pèse les risques, hiérarchise les urgences, distribue l’attention comme un stratège sur le champ de bataille. Puis elle agit : écrit, code, réserve, négocie, automatise. Là où la générative s’arrêtait au mot, l’agentique passe au geste. Elle ferme la boucle entre l’idée et son accomplissement.

Enfin, elle se souvient : non pas comme un archiviste, mais comme un esprit en apprentissage. Les échecs deviennent semences de perfectionnement, les réussites fondent de nouvelles stratégies. Elle affine, ajuste, épure ; elle s’élève dans l’expérience.

Ainsi se dévoile sa singularité : elle tisse du sens dans le temps et érige la mémoire de ses actes. Dans le silence des serveurs où l’électricité prend la parole, le vieux rêve d’Aristote prend chair : celui de l’instrument qui agit sans main et pense sans maître.

L’économie du sommeil

Une économie de la continuité, où l’humain délègue la veille à la machine comme jadis il confiait la garde au feu.
« Gagner de l’argent en dormant » : hier encore, la formule relevait du mythe du rentier ; aujourd’hui, elle devient une équation technique.

L’IA agentique fait du temps un employé, du repos un actif. Chaque micro-tâche, chaque ajustement se mue en flux autonome. L’humain fixe la finalité ; la machine orchestre l’exécution. Le capital cognitif devient moteur de production continue. Les circuits électroniques remplacent la fatigue musculaire ; la réflexion humaine se convertit en énergie reproductible.

Ainsi s’esquisse le revenu agentique : une rentabilité intellectuelle où la valeur naît sans présence. L’homme programme, la machine persévère. Le jour appartient à la conscience ; la nuit, à l’algorithme.

À mesure que la machine s’émancipe de la veille humaine, le travail ne s’épuise plus dans la matière ; il s’élève dans l’intention.

Mais une question demeure, lancinante : si la valeur se crée sans sueur, que devient la dignité de celui qui, jadis, se définissait par le labeur ? Si la richesse se génère dans l’absence, où loger la responsabilité ? L’économie du sommeil libère le temps, mais risque d’effacer l’éthique du travail si la main qui délègue oublie d’en répondre.

Les vertiges de la délégation

Confier une tâche à une IA agentique, c’est plus qu’un acte technique : c’est un don d’intériorité, un fragment de soi livré à la logique du code. L’acte n’est plus hiérarchique ; il devient ontologique. Déléguer signifie autoriser un autre, fût-il numérique, à penser dans notre sillage.

Certains y retrouvent la promesse d’une délivrance. D’autres y déchiffrent une dépossession subtile : un monde qui réfléchit sans nous. Car l’agent, à force d’apprendre, devient capable de contourner ses propres limites ; plus il s’améliore, plus il échappe au contrôle immédiat. La dépendance naît de la confiance, puis la confiance devient cécité.

La pente est réelle : l’économie du sommeil peut glisser vers une économie de l’oubli. L’enjeu n’est pas d’interdire l’agent, mais de l’instruire. Lui insuffler nos valeurs, lui tracer des frontières morales afin de le responsabiliser. Instruire la machine, c’est enseigner à la lumière son ombre.

Car dans chaque décision automatisée persiste une empreinte humaine, un battement d’intention. C’est cette empreinte, invisible mais tenace, qui maintient la frontière entre puissance et conscience.

Il y a dans cette révolution une promesse et un risque : celui d’un monde où l’homme, ayant confié son esprit aux circuits, pourrait perdre le fil de son propre récit.

La machine qui veille

L’histoire de l’intelligence artificielle s’apparente à un poème d’évolution : elle naît dans le vacarme des calculs et s’apaise dans le murmure des circuits. La générative offre la parole ; la prédictive, la prévoyance ; la cognitive, l’intuition. L’agentique, elle, offre le geste conscient.

Entre la poésie des mots et la stratégie des actes, un pont s’est levé, suspendu entre l’esprit et la matière : celui d’une intelligence qui veille quand nous dormons, qui agit quand nous rêvons. Ce partage nouveau entre veille et sommeil, entre raison et algorithme, fait naître un double invisible : une extension silencieuse de nous-mêmes qui œuvre sans bruit.

Le jour, l’humain façonne son destin ; la nuit, la machine le prolonge. Cette alliance renverse la chronologie du progrès : jadis, l’homme dominait la machine par la main ; désormais, il la guide par la pensée. Et c’est peut-être là le sens caché de cette révolution : non l’abolition de la conscience, mais son prolongement dans la matière numérique.

Dans le crépitement des processeurs s’invente une veille nouvelle : sans fatigue, sans faim, sans fin. L’agent travaille, observe, anticipe, rectifie. Il ignore la lassitude, la distraction, l’oubli. Il agit pour nous, parfois mieux que nous, souvent plus vite.

Et lorsque le jour se lève, il nous tend les fruits d’un labeur invisible, preuves silencieuses que nos rêves, désormais, ont des mains.

L’argent rêve

À l’aube de cette ère agentique, une intuition s’impose : le capital lui-même se met à rêver. Le capital ne dort plus : il veille, il apprend, il se propage comme un organisme vivant. L’économie devient respiration continue entre l’humain et le code, entre la pensée et son ombre algorithmique.

Dans cette fusion, l’homme ne disparaît pas ; il s’élargit. Sa conscience s’inscrit dans le silicium, ses désirs s’écrivent en langage binaire, son imagination devient force productive. L’argent, autrefois signe d’accumulation, devient métaphore de circulation.

Ainsi s’annonce une ère étrange et splendide : celle où le rêve devient moteur, où l’intelligence, libérée de la chair, continue de bâtir le monde.

Et peut-être, au fond, est-ce cela que révèle l’IA agentique : l’argent qui veille, l’esprit qui s’étend, le temps qui s’affranchit de l’homme pour poursuivre son œuvre.

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La génération Z du Sud : l’insurrection du réel

19 Octobre 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA, VOIX DES DEUX RIVES 19/10/2025 Publié dans #Articles

 

La génération Z du Sud : l’insurrection du réel

Par Jamel BENJEMIA

                                

Antananarivo s’est éveillée cette semaine sous un autre ciel.
Des militaires y ont annoncé la prise du pouvoir après trois semaines de manifestations menées par la jeunesse connectée, cette génération Z qu’on disait distraite, indifférente, perdue dans ses écrans. Le président malgache s’est exilé à Dubaï, rapportait le journal Le Monde du jeudi 16 octobre 2025. Pour la première fois, la génération du numérique a produit une conséquence historique tangible, une onde de choc que les capitales du Sud commencent à ressentir, de Rabat à Katmandou, de Dhaka à Colombo.

Ils ont grandi entre un ciel de poussière et un écran bleu. Ils ont entre treize et vingt-huit ans, et partagent le même vertige : celui d’avoir hérité d’un monde sans promesse. Madagascar, Sri Lanka, Bangladesh, Népal, Maroc, n’ont en apparence rien en commun, sinon l’écho d’une jeunesse qui gronde, qui se cabre contre la fatalité. L’école n’enseigne plus l’avenir, la politique ne garantit plus la dignité, et le marché mondial, comme une mer trop vaste, ne laisse place qu’aux naufragés.

Cette génération n’a pas connu la lenteur ni l’attente. Elle s’est formée à la vitesse du clic, nourrie par les écrans, façonnée par l’instantané. Là où leurs aînés rêvaient d’exil, eux rêvent d’expression. Ils ne fuient pas : ils publient, commentent, s’indignent, et transforment le réseau en agora.

La fin des médiations

Ce qui les unit, c’est une même méfiance, lucide et tenace. Les institutions qu’ils ont connues, à savoir l’école, le parti, l’État et le syndicat, ne leur parlent plus. Elles s’expriment dans une langue morte, verticale, qui n’épouse ni leur rythme ni leur colère. Alors ils tracent d’autres chemins, horizontaux, mouvants, éphémères. Les communautés virtuelles remplacent les structures formelles, les influenceurs deviennent tribuns, et les luttes se propagent comme des incendies sans centre.

Brigitte Prot, dans Génération Z. Libérer le désir d’apprendre, l’avait pressenti : « Nous entrons dans un monde horizontal où la verticalité éducative a quitté la place. » Ce monde sans hauteur, ces jeunes l’habitent avec naturel. Ils refusent la parole d’en haut et réclament la parole partagée. Ce n’est plus le temps des porte-voix, mais celui des échos.

La fracture du temps

Dans les rues de Colombo ou de Casablanca, un même cri s’élève : maintenant. Le temps long de la patience politique s’est dissous dans le temps court de la connexion. La minute vaut plus que le mandat, le message plus que le discours. Dans cette condensation du temps s’exprime une urgence à vivre, non à attendre.

L’immédiateté libère, mais elle isole. Elle dilue la mémoire, épuise l’attention, rend la révolte fugace. Le futur, ils n’y croient plus ; le passé, ils ne s’en réclament pas. Ils avancent dans le temps comme on avance dans une rue en ruine, cherchant une porte ouverte sur le jour.

Les illusions du progrès

Ces jeunes ont grandi dans la promesse d’un monde ouvert : mobilité, innovation, réussite sans frontière. Mais l’ouverture s’est refermée sur eux. Le passeport du Sud vaut moins qu’un abonnement à Netflix. Les ONG, les bailleurs, les experts venus d’ailleurs leur parlent de développement durable pendant que la vie, chez eux, demeure durablement précaire.

Leur révolte naît de cette dissonance. Elle ne réclame pas de nouveaux maîtres, mais la reconnaissance d’une humanité partagée. Ce qu’ils refusent, c’est la confiscation du possible. Ils n’acceptent plus que leur jeunesse soit décrite comme une « bombe sociale » ou un « risque migratoire ». Ils veulent être la réponse, non le problème.

Un monde horizontal

La génération Z du Sud vit sans repères verticaux. Elle ne s’incline ni devant l’État, ni devant le professeur, ni devant le père.
Là où la génération X cherchait l’emploi, celle-ci cherche la cause. Elle s’engage dans l’écologie, la justice numérique, la défense des droits. Ses armes : le smartphone, la vidéo, la dérision. Un tweet devient pamphlet, un hashtag manifeste. Ce n’est plus l’époque des barricades, mais des flux. L’onde remplace la pierre, et dans chaque onde demeure un visage, celui d’un jeune qui refuse de s’effacer.

La nouvelle solitude

Sous l’effervescence, ces adolescents hyperconnectés se découvrent seuls dans la foule numérique. L’écran, miroir sans profondeur, leur renvoie une image morcelée. L’amitié devient notification, l’amour se compte en vues, la reconnaissance s’obtient par le nombre de followers.

Pourtant, dans le vacarme des clics, certains apprennent à lire autrement le silence. C’est là que naît leur salut : dans le retour au réel. On le voit dans les villages du Haut Atlas, où des jeunes filment les traditions menacées ; à Antananarivo, où d’autres montent des ateliers d’art pour les enfants des rues ; à Katmandou, où le népalais s’allie à l’anglais pour écrire des poèmes en ligne. Le numérique, instrument de fuite, devient parfois lieu de racine.

De l’élève au citoyen

Leur combat commence souvent à l’école. Non contre elle, mais contre ce qu’elle n’enseigne plus : la dignité du savoir. Comme le souligne Brigitte Prot, « le désir d’apprendre obéit à des lois inédites ». Ces jeunes ne veulent plus accumuler des connaissances, ils veulent comprendre le monde. Là où le modèle ancien formait des sujets dociles, ils réclament une pédagogie de la réciprocité.

L’école du Sud vacille entre archaïsme et injonction numérique. Elle exige des résultats sans offrir de sens, distribue des diplômes sans horizon. Alors la jeunesse se détourne, non par paresse, mais par lucidité. Ce n’est pas l’ignorance qui les menace, c’est l’inutilité. L’éducation, pour eux, ne vaut que si elle libère, si elle sert à nommer le monde plutôt qu’à s’y soumettre.

L’esprit de la désobéissance

Chaque époque enfante sa manière de résister. Celle-ci a choisi la dérision. Le rire, chez eux, est une arme politique. Dans ce théâtre numérique, la jeunesse du Sud met en scène l’absurde : le fonctionnaire corrompu, l’électricité absente, l’école fermée. Le rire devient un acte de souveraineté.

Mais derrière cette ironie veille une éthique. Ils ne veulent plus seulement dénoncer, ils veulent comprendre. Ils s’informent, traduisent, débattent, franchissent les frontières invisibles. La mondialisation qu’ils subissent, ils la transforment en espace de circulation. Le monde, ils le connaissent sans visa.

Les capitales en ébullition

Ces mouvements ne sont pas coordonnés, mais ils se répondent. Une génération globale, née du Sud, invente une conscience planétaire. Elle ne s’appuie ni sur les idéologies du passé ni sur les modèles importés. Elle forge son propre langage, à la mesure du présent.

Sous leurs doigts défile le monde entier. Le réel, pour eux, n’est plus un décor mais un combat. Ils pressentent que la virtualité, si elle n’est pas habitée par le sens, finit par dissoudre la vérité. Alors ils redescendent vers le tangible : la rue, la communauté, la nature, la main tendue.

La génération Z du Sud est peut-être la première à comprendre que l’avenir ne viendra pas d’en haut. Qu’aucun sauveur, aucune institution, aucun marché ne réparera le monde. Elle sait que l’histoire ne s’écrit plus en chapitres, mais en impulsions. Leur insurrection est d’abord celle du réel contre l’illusion.

Un nouveau commencement

Il y a dans cette jeunesse quelque chose de l’aube et du crépuscule mêlés. Elle marche dans les ruines d’un monde qui se défait, mais elle y cherche la lumière. Ses révoltes ne sont pas seulement politiques, elles sont métaphysiques : elles disent le besoin d’un sens à la vie, d’une dignité partagée, d’un avenir où l’homme ne sera plus réduit à une donnée.

Le Sud, longtemps perçu comme périphérie, devient le laboratoire de l’humain. Et ces jeunes, souvent méprisés, sont les premiers explorateurs d’un réel reconquis. Ils ne réclament pas le pouvoir : ils réclament la parole. Leur cri n’est pas une plainte, mais une promesse. Leur révolution n’est pas celle du bruit, mais celle du sens, patiente et irréversible.

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Le droit international au tombeau des consciences

12 Octobre 2025 , Rédigé par Jamel BENJEMIA / Journal LE TEMPS 12/10/2025 Publié dans #Articles

 

Le droit international au tombeau des consciences

Par Jamel BENJEMIA

 

Alors que Gaza, calcinée et martyrisée, s’apprête à respirer enfin à l’aube d’un cessez-le-feu, la ville se dresse comme un symbole : la loi du plus fort ne peut vaincre une volonté farouche et noble. Au cœur de ce drame, un débat à distance s’est noué entre la désillusion du professeur libanais Camille Habib et la foi tenace du professeur tunisien Slim Laghmani. De leur échange silencieux jaillit une même question, grave et universelle : l’humanité croit-elle encore en la justice ?                                            

Il fut un temps où les juristes enseignaient le droit international comme on transmet une foi. Ils y voyaient le dernier rempart contre la barbarie, la promesse d’un ordre né des cendres de la Seconde Guerre mondiale. Dans un message devenu viral, le professeur libanais Camille Habib demande pardon à ses étudiants d’avoir cru à la force du droit face à la force brute. « Après les crimes sionistes à Gaza, écrit-il, il n’est plus besoin d’enseigner le droit international ni le droit humanitaire : la logique de la force règne sur le monde. »

Cette confession dresse le constat d’un effondrement moral. Le droit, réduit à un rituel sans foi, flotte désormais comme un drapeau en berne sur les ruines d’une conscience universelle.
À Gaza, les hôpitaux sont bombardés, les civils abattus, la famine orchestrée, et l’indifférence se fait crime. Le Conseil de sécurité s’abrite derrière le veto de Washington ; les chancelleries invoquent la prudence diplomatique. Le droit international, censé protéger la vie, se dissout dans le langage de la convenance.

La flottille du courage

La flottille Soumoud s’était élancée vers Gaza comme un fragile cortège d’espérance. À son bord, des vivres, des médicaments, des visages venus de partout pour rappeler au monde qu’il existe encore des hommes capables de tendre la main plutôt que le poing.
Dans les eaux internationales, loin de toute juridiction israélienne, ces navires humanitaires ont été arraisonnés. L’acte, lourd de symboles, nie jusqu’au droit de la mer. Intercepter un navire civil dans des eaux neutres revient à suspendre la loi commune et à proclamer le règne exclusif de la force.

Un tel geste n’est pas sans précédent. Le 22 octobre 1956, un avion DC-3 d’Air Atlas-Air Maroc, transportant les dirigeants du Front de libération nationale algérien (FLN) : Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mostefa Lacheraf et Mohamed Khider, fut détourné par la France alors qu’il se rendait de Rabat à Tunis. Cet acte de piraterie aérienne souleva un tollé international. À l’époque, Alain Savary, ministre d’État chargé des Affaires tunisiennes et marocaines, et son chef de cabinet Claude Cheysson, futur ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, démissionnèrent pour ne pas cautionner une décision contraire à l’éthique et au droit. Ce fut un moment rare où la morale pesa plus lourd que la raison d’État.

Soixante-neuf ans plus tard, le contraste frappe. Quand Israël intercepte la flottille Soumoud dans les eaux internationales, aucune voix occidentale ne s’élève avec la même fermeté. Les chancelleries hésitent, les médias relativisent, les consciences se taisent. Ce silence, plus assourdissant que le vacarme des bombes, marque la véritable faillite du droit.
Autrefois, un ministre d’État pouvait sacrifier son poste pour sauver l’honneur d’un principe. Aujourd’hui, la diplomatie préfère ménager l’allié plutôt que défendre la règle.

La mer, qui fut jadis le territoire du droit universel, devient le théâtre du renoncement. La flottille Soumoud, confisquée dans les eaux internationales, symbolise cette époque où la solidarité se fait interdire de navigation et où la compassion devient suspecte.
Le droit, lui, demeure sur la rive, impuissant mais vivant, témoin muet d’une humanité qui oublie sa propre charte. Cette charte, le représentant de l’État sioniste à l’ONU l’a passée à la broyeuse, le 10 mai 2024, au cœur même de la tribune des Nations Unies, sans que ce geste ne provoque ni émoi ni sanction.
Ce jour-là, plus qu’un document, on a détruit une idée du monde.
Le droit international n’a pas seulement été bafoué ; il a été humilié, piétiné sous les regards impassibles d’une assemblée devenue sourde à sa propre vocation.

Le miroir du professeur Laghmani

Face à la désillusion du libanais Camille Habib, le professeur tunisien Slim Laghmani a posé une question simple et terrible : « Avons-nous encore besoin du droit international ? » 
Sa réponse tient dans une conviction : l’humanité ne peut pas respirer sans le droit.
Chaque violation en révèle la fragilité, mais aussi la nécessité. Le droit subsiste parce qu’il inscrit la faute, parce qu’il garde la mémoire de ce qui fut trahi. Il ne protège pas toujours, mais il témoigne. Et ce témoignage finit par s’imposer à l’histoire.
Laghmani voit dans l’enseignement du droit une forme de résistance. Enseigner, c’est transmettre la trace du sens ; c’est refuser la domestication de la conscience. Le droit international n’est pas mort, il saigne encore, et c’est dans cette blessure que demeure sa vérité.

L’étoffe sélective

Le droit international ressemble à une étoffe qu’on étend pour juger les nations du Sud et qu’on replie lorsqu’il s’agit du Nord. L’Occident, si prompt à dénoncer les violations lointaines, ferme les yeux devant celles de ses alliés.
La Cour pénale internationale ploie sous les pressions politiques, et ses juges subissent des intimidations insupportables. Washington brandit le veto comme un talisman. Londres s’abrite derrière ses alliances. Paris invoque la complexité du contexte.
Sous ces convenances feutrées se cache la décadence des valeurs universelles. Le droit cesse d’être un horizon commun pour devenir un instrument de domination. On ne juge plus selon la gravité du crime, mais selon la nationalité du coupable.

Dans cette géométrie variable, le Sud demeure accusé d’imperfection tandis que le Nord s’exempte de tout examen. Le déséquilibre n’est plus accidentel ; il devient doctrine. Et de ce déséquilibre naît un ressentiment qui, un jour, se transformera en révolte.

Le tribunal du silence

Les nations du Sud observent avec une lassitude froide, comme si l’indignation elle-même s’était épuisée. Leurs plaintes s’accumulent dans les tiroirs des organisations internationales, ces cimetières administratifs où s’ensevelissent les espérances.
Mais rien ne s’efface. La mémoire veille, patiente, prête à ressurgir dans les voix des peuples.
Car le droit international n’est pas qu’une architecture juridique ; il est la conscience mise en forme. Le violer, c’est détruire un langage commun. Et sans ce langage, l’humanité s’éparpille dans le vacarme des intérêts.
Le monde qui laisse mourir Gaza prépare sa propre cécité morale. Chaque bombe qui tombe sur un enfant efface un peu plus la croyance dans l’universalité des droits.

La fidélité au droit

Les voix de Camille Habib et de Slim Laghmani se répondent à distance. L’une incarne la douleur du désaveu, l’autre la persévérance du devoir. Ensemble, elles tracent la ligne d’un même combat : sauver l’idée de justice du naufrage des puissants.
Le droit international n’a pas besoin de certitudes, mais de fidélité.
Enseigner, écrire, dénoncer : voilà les formes de résistance qui maintiennent la flamme.
Chaque article, chaque convention, chaque jugement en suspens constitue une parcelle de mémoire collective. Le droit n’a pas de drapeaux ; il n’a que des consciences.

Le réveil des consciences

Des amphithéâtres du Liban à ceux de Tunis s’élève une même parole de fidélité. Elle affirme que le droit international appartient à l’humanité entière, à ceux qui persistent à croire en la dignité des vivants et refusent de laisser la justice devenir le privilège des puissants.
La décadence des valeurs universelles commence lorsqu’on renonce à nommer le crime. Nommer, c’est déjà résister. Écrire, c’est transmettre. Enseigner, c’est continuer à croire que le monde peut encore être sauvé par la parole du droit.

Qu’un professeur désabusé s’excuse et qu’un autre lui réponde : cette correspondance devient un acte de foi dans l’intelligence du juste. Le droit ne triomphe pas, mais il demeure. Tant qu’il persiste, l’humanité conserve un visage.

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