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Réarmer la Tunisie par le savoir : Du Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement à la diplomatie de la recherche.
Réarmer la Tunisie par le savoir :
Du Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement à la diplomatie de la recherche.
Par
Jamel
BENJEMIA
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Il est des nations qui se rêvent grandes par leurs armées, d’autres par leurs ressources. La Tunisie, elle, ne s’élèvera que par son savoir. C’est dans le silence vibrant des salles de classe, dans le tumulte fécond des amphithéâtres, et dans la lumière tamisée des laboratoires que s’esquisse son avenir. Là se forgent les esprits, s’aiguisent les consciences et se dessine la forme du destin.
Notre pays, fort d’une jeunesse aux regards vifs et d’un patrimoine qui embrasse Carthage et Kairouan, a gravé dans le marbre de sa Constitution, à l’article 135, la création d’un Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement (CSEE).
Mais il ne suffit pas d’ériger un Conseil : encore faut-il en faire un levier de transformation, un lieu où se croisent la stratégie, l’écoute et la vision. Car l’éducation ne peut plus se contenter d’être un chapitre budgétaire ou un motif de discours. Elle doit redevenir un acte de souveraineté. C’est à cette condition, et à celle-là seule, que le diplôme tunisien retrouvera sa valeur d’ascenseur social, que les fractures régionales cesseront d’être des fatalités, que notre pensée scientifique rayonnera au-delà des frontières, et que nos grandes institutions seront peuplées d’intelligences sûres d’elles-mêmes, enracinées et audacieuses.
Kasserine, Gafsa et les angles morts de la République
L’école tunisienne, censée être le grand égalisateur social, reproduit parfois les fractures qu’elle devrait combler. Rien n’illustre mieux ce paradoxe que les inégalités linguistiques criantes entre les régions du littoral et celles de l’intérieur. À Kasserine, à Gafsa, mais aussi dans d’autres gouvernorats, le niveau de maîtrise des langues — arabe littéraire, français, anglais — reste dramatiquement faible. Ce constat n’est pas une fatalité, mais le résultat d’un abandon progressif, d’un manque de stratégie différenciée et d’une absence d’investissement ciblé.
Or, la langue est bien plus qu’un outil de communication. Elle est une clef d’accès au savoir, à la citoyenneté et à l’emploi. Lorsque l’élève d’une région marginalisée peine à s’exprimer ou à comprendre un manuel, c’est tout son avenir qui se trouve compromis. L’inégalité linguistique devient alors une inégalité d’opportunités, une fracture cognitive qui renforce l’exclusion et mine la cohésion nationale.
Il est urgent d’agir. Des parcours d’excellence linguistique, des classes à effectifs allégés, des passerelles entre régions, mais aussi la valorisation des langues comme leviers d’ascension sociale doivent être mis en œuvre. Il s’agit de faire du plurilinguisme un droit et non un privilège, d’offrir à chaque enfant, quel que soit son lieu de naissance, la possibilité de maîtriser les outils fondamentaux du savoir. Réconcilier la République avec ses régions passe par là : par une école qui parle, enseigne et rêve dans toutes les langues de l’excellence.
Une plateforme ouverte pour une recherche trilingue
La Tunisie ne souffre pas d’un manque d’intelligence, mais d’un manque de valorisation de son intelligence. Dans nos universités, nos laboratoires et même en dehors du monde académique, des centaines de chercheurs, jeunes diplômés, enseignants ou passionnés produisent des idées, des analyses, des propositions. Pourtant, très peu de ces contributions atteignent le public, la décision politique ou les forums internationaux. Le problème est double : absence de plateforme nationale dédiée et cloisonnement linguistique.
Il est temps que la Tunisie crée une plateforme ouverte, publique, gratuite, pour publier des papiers de recherche dans les trois langues majeures du pays : l’arabe, le français et l’anglais. Cette plateforme, pensée comme un carrefour du savoir tunisien, permettrait à chaque chercheur de publier dans sa langue de prédilection, avec la garantie que son travail sera traduit — humainement ou automatiquement — dans les deux autres langues. Le savoir ne doit pas rester prisonnier des cloisons linguistiques ; il doit circuler, être partagé, discuté.
Un tel outil changerait la donne : il amplifierait la visibilité de la recherche tunisienne, renforcerait les échanges interdisciplinaires, et favoriserait une culture de publication dès le niveau licence ou master. Il permettrait aussi d’alimenter le débat public par des expertises locales, de nourrir les politiques publiques par des données endogènes, et de projeter la Tunisie comme un acteur crédible de la diplomatie du savoir. Car publier, ce n’est pas seulement informer, c’est exister dans le concert des nations.
La souveraineté scientifique commence par l’accessibilité du savoir. C’est en organisant notre propre circulation des idées que nous pourrons espérer en influencer d’autres.
L’ITES : silence d’un « Think Tank » stratégique
L’Institut Tunisien des Études Stratégiques (ITES) devrait être l’une des boussoles intellectuelles de la République. Chargé de produire des analyses de fond sur les grands enjeux nationaux — sécurité, économie, société, diplomatie — il a pourtant sombré dans un silence préoccupant. Le dernier dossier publié par cette honorable institution remonte à juillet 2024 selon le site web de l’ITES.
Cette discrétion contraste fortement avec les attentes du moment. Dans un monde incertain, marqué par les mutations géopolitiques, la révolution numérique, les tensions sociales et climatiques, chaque pays a besoin de structures capables de penser l’avenir, d’anticiper les chocs, de proposer des trajectoires. L’ITES pourrait — et devrait — être cette vigie stratégique, à condition de sortir de son isolement.
Il est urgent de redynamiser cet institut. Cela passe par des partenariats solides avec les universités tunisiennes et étrangères, des appels à contribution ouverts aux chercheurs indépendants, des traductions systématiques de ses travaux, et une véritable politique de diffusion. L’ITES doit redevenir un lieu de débat éclairé et un creuset d’idées, en lien direct avec les décideurs mais sans complaisance politique.
Redonner de la voix à l’ITES, c’est réaffirmer que la pensée stratégique est une dimension essentielle de la souveraineté. Un pays sans stratégie réfléchie devient un terrain de jeu pour les stratégies des autres.
Du local au global : bâtir la souveraineté intellectuelle
Réunir les constats précédents, c’est tracer une ligne directrice claire : la Tunisie a besoin d’un réarmement intellectuel. Cela ne signifie pas une accumulation de réformes techniques ou de slogans creux, mais un véritable effort pour bâtir une souveraineté cognitive, enracinée dans nos territoires, nourrie par notre jeunesse, et tournée vers l’universel. Cette souveraineté commence dans les écoles de Gafsa et Kasserine, où l’égalité linguistique doit devenir un chantier prioritaire. Elle se poursuit à travers un Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement fort, visionnaire, et structurant. Elle s’affirme dans la capacité à produire de la connaissance en trois langues, à publier, à débattre, à critiquer. Elle s’incarne, enfin, dans des institutions comme l’ITES, qui doivent retrouver leur mission de veille stratégique.
Le passage du local au global est possible. Il ne s’agit pas de copier des modèles extérieurs, mais d’inventer une trajectoire propre, qui valorise les spécificités tunisiennes tout en respectant les standards de l’excellence. C’est cette dynamique qui permettra de redonner confiance à la jeunesse, de stabiliser les régions marginalisées, et de projeter la Tunisie comme un carrefour de la pensée méditerranéenne, arabe et africaine.
Réarmer la Tunisie par le savoir, c’est reconnaître que les idées, les langues, les publications, les réflexions sont des armes pacifiques, mais puissantes. C’est aussi admettre que toute réforme économique, politique ou sociale restera incomplète si elle n’est pas adossée à une renaissance intellectuelle.
La Tunisie n’a pas besoin d’un énième plan de sauvetage conjoncturel. Elle a besoin d’un souffle, d’un horizon, d’un projet de civilisation. Ce projet commence par l’éducation, se prolonge dans la recherche, s’incarne dans des institutions intellectuelles fortes. Il exige du courage politique, une vision à long terme et une confiance retrouvée dans la capacité de notre pays à produire du sens, de la valeur, et du savoir.
À travers un Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement repensé, une plateforme de recherche ouverte, des politiques linguistiques inclusives et un institut stratégique réanimé, la Tunisie peut bâtir une souveraineté intellectuelle capable de nourrir son avenir. C’est un pari exigeant, mais c’est le seul qui vaille.
La Tunisie ne sera pas sauvée par ses mines, mais par ses idées. Elle ne rayonnera pas par ses classements, mais par ses engagements envers l’intelligence partagée.
Reconstruire la Tunisie : Du bitume aux pierres, un pays qui se relève.
Reconstruire la Tunisie :
Du bitume aux pierres, un pays qui se relève.
Par
Jamel
BENJEMIA
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Il y a des silences qui fissurent les nations autant que le temps fend les pierres. En Tunisie, chaque nid-de-poule est une virgule de négligence, chaque mur lézardé une cicatrice de l’oubli. Mais reconstruire, c’est refuser la fatalité. C’est replacer chaque pierre, retisser chaque route, rallumer chaque lumière. Et pourtant, la Tunisie n’est pas un pays en ruine. Elle est une partition inachevée, une symphonie en suspens, attendant que chacun reprenne son instrument pour accorder l’harmonie du progrès.
Les voitures tanguent sur des routes cabossées, les immeubles plient sous le poids du désintérêt, et nous, citoyens, oscillons entre résignation et colère. Mais qu’arriverait-il si, au lieu d’attendre un miracle, nous devenions les chefs d’orchestre de notre propre renaissance ? Si chaque nid-de-poule signalé, chaque mur consolidé, devenait une note ajoutée à cette mélodie de reconstruction ?
Imaginons 24 unités d’intervention, une armée de techniciens réparant l’ossature du pays, et une application, simple et citoyenne, reliant chaque main tendue à une action concrète. Il ne s’agit pas d’un rêve, mais d’une nécessité. Car un pays qui répare ses fondations, c’est un pays qui refuse l’effondrement. C’est un pays qui se remet en marche.
Les routes brisées, fractures du temps et du renoncement
Les routes de Tunisie ne serpentent plus : elles trébuchent. Chaque nid-de-poule est une faille dans le récit national, une brèche où s’engouffrent l’usure et l’oubli. Elles étaient jadis des rubans d’asphalte tendus vers l’horizon, elles ne sont plus que des tapis râpés, déchirés par le poids des années et le silence des pouvoirs publics.
À chaque creux dans la chaussée, c’est un amortisseur qui gémit, un pneu qui s’éventre, un conducteur qui jure. Les taxis tanguent, les camions boitent, et la route, au lieu d’être un fil conducteur du développement, devient une entrave, un labyrinthe semé d’embûches. Ce n’est plus un réseau, c’est une cicatrice géante qui se propage sous nos roues.
Et les conséquences sont lourdes. En 2024, le nombre d’accidents de la route s’élève à 5 687, contre 5 796 en 2023. Un léger recul, mais qui ne saurait masquer le drame : 1 169 décès en 2024, contre 1 216 l’année précédente. Derrière ces chiffres, ce sont des vies brisées, des familles endeuillées, des espoirs fauchés.
Il ne suffit pas d’annoncer des kilomètres de nouvelles routes en construction et de dérouler des plans ambitieux sur le papier. Ce qui compte, ce n’est pas seulement ce qui est bâti, mais ce qui est entretenu. Publier des statistiques sur les routes réparées, sur les routes goudronnées, sur les nids-de-poule relevés, serait un signal clair d’un État qui ne se contente pas de promettre, mais qui agit.
Ces blessures ne sont pas irréversibles. Il suffirait d’un sursaut, d’un plan d’urgence qui ne se contente pas de replâtrer, mais qui soigne en profondeur. Réparer une route, c’est recoudre le tissu économique du pays. C’est rendre aux villes leur fluidité, aux villages leur accessibilité, aux citoyens leur dignité. Car un pays qui laisse ses routes s’effondrer, c’est un pays qui vacille. Et un pays qui les reconstruit, c’est un pays qui avance.
Bâtiments vulnérables, mémoires en péril
Les murs de nos villes parlent. Écoutez-les. Ils chuchotent l’histoire d’un pays qui a grandi trop vite et qui, faute d’entretien, laisse ses fondations vaciller. Chaque fissure dans une école est une promesse d’avenir qui se fendille. Chaque immeuble administratif décrépit est une colonne du service public qui menace de s’effondrer. Chaque balcon prêt à choir est une alerte ignorée, un drame en attente.
Nos centres-villes ressemblent parfois à des vieilles bibliothèques dont les pages se détachent une à une, emportant avec elles les souvenirs de ce qui a été bâti avec espoir. Combien d’hôpitaux, de tribunaux, d’institutions tiennent encore debout par miracle ? Combien de vies seraient épargnées si, au lieu d’attendre l’irréparable, nous choisissions d’agir ?
Rénover, ce n’est pas simplement repeindre les façades pour masquer les plaies. C’est redonner souffle aux pierres, solidité aux structures, confiance aux habitants. Il faut une brigade de la préservation, une légion d’architectes et de bâtisseurs, un programme national qui restaure au lieu de laisser s’effondrer. Car un pays qui ne prend pas soin de ses murs condamne son avenir à l’érosion. Mais un pays qui les relève, pierre après pierre, prouve qu’il refuse la chute.
La Tunisie, un pays à recoudre
Il est des forces qu’on mobilise pour punir et d’autres qu’on élève pour bâtir. La Tunisie n’a pas besoin d’une police de l’environnement qui traque sans réparer, qui sanctionne sans reconstruire. Que vaut une amende dressée face à un mur qui s’effondre ? Que pèse une réprimande face à une route qui se déchire sous les roues fatiguées ? Plutôt que de scruter les failles pour punir, pourquoi ne pas les combler pour bâtir ?
Imaginons un corps d’élite non pas au service de la répression, mais de la réparation. Une force déployée dans chaque gouvernorat, non pour épier et dénoncer, mais pour restaurer et renforcer. Des hommes et des femmes en uniforme, non pour verbaliser, mais pour consolider. Une brigade bâtisseuse, investie d’une mission claire : recoudre la terre et les pierres, réanimer l’asphalte et le béton, ressouder les fondations du pays.
24 unités d’intervention, une par gouvernorat, veillant sur les routes comme sur des artères vitales, sur les bâtiments comme sur des bastions de l’avenir. Un peuple ne se maintient pas debout en dressant des contraventions : il se redresse en érigeant des ponts, en consolidant ses murs, en lissant ses chemins. Faisons de cette force non un œil qui surveille, mais une main qui répare.
L’implication citoyenne
Un pays ne se répare pas d’en haut, il se reconstruit avec ceux qui l’arpentent, qui l’habitent, qui le font vivre. Trop souvent, les citoyens constatent, subissent, râlent – mais restent spectateurs. Il est temps d’inverser cette dynamique, de transformer chaque habitant en acteur du renouveau.
Imaginons une application informatique simple, accessible à tous. Une route cabossée ? Un nid-de-poule béant ? Un bâtiment qui menace de s’effondrer ? En quelques secondes, une photo, une localisation, un signalement envoyé aux équipes de maintenance. Une plateforme interactive où chacun devient les yeux et les oreilles de son quartier, où les autorités locales reçoivent des alertes en temps réel, où le suivi des réparations est transparent, consultable par tous.
Cette implication citoyenne n’est pas une charge, c’est un pouvoir. C’est la possibilité d’exiger, mais surtout de contribuer. Chaque alerte envoyée, chaque problème réparé, c’est une pierre ajoutée à l’édifice du bien commun. Ce n’est plus une question d’État seul, mais d’une nation qui prend en main son propre destin. Car un pays qui donne à ses citoyens les moyens d’agir est un pays qui se dresse au lieu de s’effondrer. Et si nous faisions de la Tunisie un chantier collectif du renouveau ?
La Tunisie qui répare, la Tunisie qui renaît.
Un pays ne meurt pas de ses fissures. Il meurt du silence qui les laisse s’élargir. Mais il renaît à chaque pierre replacée, à chaque route lissée, à chaque mur fortifié. La Tunisie n’est pas un édifice condamné aux ruines du passé, elle est un chantier du possible, un grand livre dont chaque génération écrit une nouvelle page.
Victor Hugo disait : « Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs. » Il en va de même pour une nation : il n’existe pas de fatalité au déclin, seulement l’abandon de ceux qui auraient pu bâtir. Si nous relevons les ponts, réparons les passages, si nous faisons de chaque fissure une promesse de renouveau, alors nous réapprendrons à marcher droit, non plus sur des routes brisées, mais sur des chemins d’avenir.
Que chaque route réhabilitée soit une veine où circule l’espérance. Que chaque mur consolidé soit une colonne qui soutient l’avenir. Car un pays qui répare, c’est un pays qui refuse l’effondrement. Un pays qui bâtit, c’est un pays qui renaît.
Muscler les entreprises publiques tunisiennes pour bâtir l’avenir.
Muscler les entreprises publiques tunisiennes pour bâtir l’avenir.
Par
Jamel
BENJEMIA
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Depuis trop longtemps, les entreprises publiques tunisiennes voguent telles des vaisseaux fatigués, leurs cales alourdies de dettes, leurs voiles déchirées par les vents contraires d’une gestion inefficace et d’un interventionnisme étouffant. Chaque année, l’État, tel un capitaine hésitant, puise dans ses réserves pour colmater les brèches, prolongeant l’illusion du voyage sans cap véritable. Repousser l’inévitable, c’est laisser le naufrage s’annoncer : non seulement celui de ces entreprises, mais aussi de l’équilibre fragile des finances publiques.
Faut-il pour autant livrer ces navires au marché, les vendre au plus offrant et accepter leur disparition sous pavillon privé ? Non, il existe une autre voie, un passage entre les récifs de la privatisation aveugle et les sables mouvants de l’immobilisme. Cette voie exige du courage : celui d’arracher ces entreprises aux filets de l’exception juridique, de leur donner l’élan d’une gouvernance affranchie des pesanteurs bureaucratiques et leur ouvrir des horizons prometteurs. Mais pour que le vent du renouveau porte ces entreprises, encore faut-il hisser les bonnes voiles. L’heure n’est plus aux rustines éphémères, mais à une refonte profonde, une nouvelle navigation où l’État, plus stratège que pompier, devient le véritable architecte d’un avenir durable.
Briser les chaînes invisibles
Un arbre, aussi majestueux soit-il, finit par dépérir si ses racines sont enserrées dans un sol trop aride. Ainsi en est-il des entreprises publiques tunisiennes, piégées dans un carcan juridique qui les prive des eaux nourricières du redressement et les condamne à une lente asphyxie financière. L’article 416 de la loi n° 2016-36 les soustrait aux procédures collectives, les maintient dans un statut d’exception contre-productif. Sous prétexte de protection, elles sont en réalité livrées à un lent déclin, interdites de recours aux outils de sauvetage dont disposent pourtant les entreprises privées.
Il est temps de briser ces chaînes invisibles, d’ouvrir les portes du droit commun pour que ces structures ne soient plus des bastions reclus mais des entités capables de renaître de leurs propres cendres. En les autorisant à déclarer leur cessation de paiement et à solliciter un redressement sous l’égide d’administrateurs judiciaires, on leur offre non une sentence, mais une chance : celle d’un avenir régénéré, d’un souffle nouveau. La réforme ne doit pas être perçue comme une menace, mais comme un tremplin vers l’efficience. Car une entreprise publique n’a pas vocation à être une forteresse d’exception, mais un acteur économique ancré dans la réalité, capable de résilience et de renouveau.
Du fardeau à l’équilibre
Une entreprise publique ne devrait pas être un navire ballotté au gré des vents politiques, errant sans boussole vers l’incertitude. Pourtant, trop souvent, sa gouvernance oscille entre lourdeur bureaucratique et ingérences arbitraires, freinant toute velléité d’efficacité. L’État, en tentant d’en être à la fois le pilote, l’ingénieur-mécanicien et le comptable, alourdit son propre fardeau et compromet l’équilibre qu’il cherche pourtant à préserver.
Il faut rompre avec cette logique d’assistance permanente et refonder la gouvernance sur un socle de rigueur et d’indépendance. Un conseil d’administration composé d’experts et non d’obligés politiques, des contrats de performance définis avec des objectifs précis et mesurables, et une transparence accrue dans la gestion des fonds : voici les clés d’une métamorphose salutaire. Plutôt qu’un désengagement, cette réforme recentre l’action publique. L’État ne doit pas être un gestionnaire omniprésent, mais un stratège vigilant, garant des orientations à long terme sans étouffer l’initiative et l’adaptabilité.
En libérant ces entreprises du poids de l’inefficience et de l’opacité, on ne les affaiblit pas : on leur redonne la force de croître, non comme des fardeaux à porter, mais comme des piliers solides, capables de soutenir l’édifice économique du pays.
Rebâtir plutôt que brader
Vendre pour survivre est une illusion à court terme, un feu de paille qui éclaire un instant avant de plonger l’économie dans l’obscurité d’une dépendance accrue. La privatisation aveugle, loin d’être une panacée, ressemble à ces remèdes hâtifs qui soulagent sans guérir, laissant derrière eux des fractures sociales et des services publics affaiblis. Or, la Tunisie n’a pas besoin de brader ses entreprises publiques, mais de les refonder sur des bases solides, où la rentabilité n’est plus un mirage mais un cap atteignable.
La voie du redressement passe par des solutions plus subtiles, alliant pragmatisme et vision stratégique. Les partenariats public-privé (PPP), bien encadrés, peuvent injecter des capitaux et des savoir-faire sans diluer l’intérêt général. La cession partielle d’actifs non stratégiques offre une respiration financière sans renier l’identité publique des entreprises concernées. Quant à la modernisation par l’innovation et la digitalisation, elle permet de renouer avec la compétitivité sans sacrifier l’indépendance.
Il ne s’agit pas de s’accrocher au statu quo, mais d’opérer un virage réfléchi : transformer ces structures en moteurs de croissance plutôt qu’en gouffres budgétaires, leur donner les outils pour se redresser sans les livrer aux appétits du marché. Rebâtir, plutôt que vendre.
La « Gazelle » a du plomb dans les ailes
Fierté nationale, TunisAir, surnommée la « Gazelle », porte en elle l’héritage d’un rayonnement international conquis et d’un prestige forgé au fil des décennies. Plus qu’une compagnie, elle est un symbole de connexion, reliant la Tunisie au monde et les Tunisiens à leurs horizons. Son histoire est celle d’une ascension, d’une audace, et d’un savoir-faire qui ont marqué des générations. Mais aujourd’hui, face aux défis du temps, elle se trouve à un tournant décisif. Loin d’être clouée au sol, elle a l’ardente obligation de se réinventer, de moderniser ses processus et d’optimiser sa gestion pour mieux déployer ses ailes.
Avec une flotte de 24 avions, dont seulement 10 en état de fonctionner, le défi est immense mais pas insurmontable, comme l’a souligné le Président Kaïs Saïed en recevant, le mardi 25 mars, Rachid Amari, ministre des Transports, et Halima Khouaja, chargée de la direction générale de TunisAir.
Dans un constat sans appel, le président Kaïs Saïed dénonce un enchevêtrement de dysfonctionnements : retards chroniques, services médiocres, et une maintenance d’avions qui s’éternise, là où ailleurs elle se résout en quelques jours. Le coût de cette inertie se chiffre en milliards de dinars, une hémorragie qui aurait pu permettre l’acquisition d’une flotte moderne et performante.
TunisAir a les ressources, l’expertise et la légitimité pour entrer dans une nouvelle ère, portée par la rigueur et l’excellence, moteurs d’un redécollage attendu. La « Gazelle » peut encore retrouver son agilité et son prestige, à condition de lui redonner des ailes solides, affranchies du poids des passe-droits et de l’improvisation.
La voie des bâtisseurs
Restructurer n’est pas renoncer, c’est bâtir. C’est refuser la facilité des palliatifs budgétaires et des privatisations précipitées pour s’engager dans une œuvre plus exigeante : celle du redressement stratégique. Trop longtemps, les entreprises publiques tunisiennes ont été maintenues sous perfusion, oscillant entre protection inefficace et gestion approximative. L’heure n’est plus aux demi-mesures, mais à une refonte profonde, portée par une gouvernance exigeante et un cadre juridique adapté à la réalité économique.
Loin d’être un fardeau inéluctable, ces entreprises peuvent redevenir des moteurs de croissance, à condition de leur redonner souffle et discipline. Cela passe par des décisions courageuses : briser le carcan juridique qui les enferme, imposer une gestion rigoureuse et indépendante, encourager les restructurations sans diluer l’intérêt public et surtout, exiger des dirigeants une responsabilité à la hauteur des enjeux.
L’avenir appartient aux bâtisseurs, à ceux qui savent que redresser un édifice ne commence pas par le vendre, mais par en renforcer les fondations. La Tunisie n’a pas besoin d’un simple répit financier, mais d’une véritable renaissance industrielle et économique. C’est en osant cette renaissance que nous transformerons nos entreprises publiques en leviers de prospérité, et non en reliques du passé.
Entre mémoire et renouveau : La quête d'une autosuffisance nourricière en Tunisie.
Entre mémoire et renouveau :
La quête d'une autosuffisance nourricière en Tunisie.
Par
Jamel
BENJEMIA
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La Tunisie, terre de lumière et d’histoire, s’étire entre mer et désert, façonnée par les vents du temps et la résilience de son peuple. Depuis l’Antiquité, ce pays a su transformer les défis en opportunités, apprivoisant une nature tantôt généreuse, tantôt capricieuse. Aujourd’hui encore, face aux incertitudes climatiques et économiques, l’impératif de l’autosuffisance alimentaire résonne comme une nécessité vitale. Plus qu’un enjeu de survie, c’est une quête d’harmonie, un retour aux racines profondes de la terre nourricière.
Mais comment concilier tradition et modernité, sagesse ancestrale et innovations contemporaines ? Comment réapprendre à cultiver sans épuiser, à récolter sans dénaturer, à nourrir sans aliéner ? À travers l’histoire de l’agriculture tunisienne, de ses terres fertiles aux jardins suspendus de Djebba El Olia, ce texte explore les chemins d’une autonomie retrouvée.
La mémoire des sols et le chant des saisons
Dans chaque grain de sable des plaines du Sahel, dans chaque motte de terre des vallées de la Medjerda, repose un savoir ancestral, tissé de patience et d’ingéniosité. Depuis des millénaires, l’agriculture tunisienne s’est adaptée aux caprices du ciel, composant avec les sécheresses, les crues, et les vents brûlants du désert.
Les fellahs d’hier, véritables alchimistes, décryptaient le murmure du vent et l’absence éloquente des nuages. Ils plantaient en fonction des cycles lunaires, irriguaient avec la parcimonie d’un orfèvre dosant son or, et récoltaient en respectant le rythme sacré des saisons. De l’olivier centenaire au blé doré des plaines, chaque culture était un maillon d’une harmonie subtile entre l’homme et la nature.
Aujourd’hui, sous l’uniformisation imposée par les marchés mondialisés, ce savoir précieux menace de disparaître sous le poids de l’agriculture intensive. Pourtant, au cœur de cette tempête, certaines régions de Tunisie perpétuent l’équilibre fragile d’une agriculture durable. C’est dans cet interstice, entre préservation et innovation, que repose l’espoir d’une autosuffisance renouvelée.
Le défi de l’autonomie alimentaire
L’autosuffisance alimentaire n’est pas une utopie, mais un horizon vers lequel il faut marcher avec lucidité et détermination. La Tunisie, malgré ses richesses naturelles, dépend encore largement des importations pour nourrir sa population. Blé, sucre, huile végétale : ces denrées essentielles arrivent par bateaux, soumises aux fluctuations des marchés internationaux et aux tensions géopolitiques.
Chaque crise met en lumière cette fragilité : une sécheresse, un conflit à des milliers de kilomètres, et soudain, les prix flambent, les rayons se vident, l’angoisse s’installe. Pourtant, les solutions existent. Redonner vie aux cultures vivrières, réhabiliter les semences locales, investir dans une agriculture régénératrice, autant de voies qui permettraient de renouer avec une souveraineté alimentaire réelle.
Cette ambition se confronte à des défis majeurs : morcellement des terres, exode rural croissant, désintérêt des jeunes pour un métier jugé moins prometteur que les illusions urbaines. Comment alors inverser la tendance ? Comment redonner au métier de cultivateur ses lettres de noblesse ? La réponse pourrait bien résider dans des modèles ancestraux réadaptés aux défis contemporains.
Les jardins suspendus de Djebba El Olia : un miracle d’ingéniosité
Dans les hauteurs du gouvernorat de Béja, Djebba El Olia se dresse comme un sanctuaire vivant où l’homme et la nature dialoguent en parfaite intelligence. Ici, les montagnes ne sont pas un obstacle, mais un écrin sculpté par des siècles de patience et de savoir-faire. Les jardins suspendus, reconnus par la FAO comme un système ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM), incarnent cette alliance harmonieuse où chaque pierre posée, chaque arbre planté, chaque rigole tracée témoigne d’une résilience séculaire.
Dans ces terrasses millénaires, l’eau, ce trésor inestimable, est captée et guidée avec une minutie d’un expert. Chaque goutte devient une offrande, préservée par des murs de pierres sèches qui retiennent l’humidité et limitent l’érosion. Figuiers, oliviers, grenadiers et amandiers y prospèrent, défiant la rudesse du climat dans une danse silencieuse avec le sol.
Les agriculteurs de Djebba ne sont pas seulement des cultivateurs, ce sont des gardiens d’un héritage fragile, des passeurs de mémoire. Ils perpétuent un art agricole où le geste est sacré, où la terre n’est pas une ressource à exploiter, mais une alliée à chérir. Face aux ravages de l’agriculture intensive, ces jardins suspendus offrent une leçon précieuse : produire sans détruire, cultiver sans compromettre l’avenir.
L’eau, fil d’or de l’autonomie agricole
Si la terre est le berceau de la vie, l’eau en est le souffle vital. En Tunisie, où les précipitations sont irrégulières et les nappes phréatiques surexploitées, la gestion de l’eau est une question cruciale.
Depuis des siècles, les agriculteurs ont su tirer parti des moindres gouttes en développant des systèmes habiles. Les « jessours », ces barrages de terre construits sur les versants des collines, permettent de capter et de retenir l’eau pour irriguer les cultures. Les citernes creusées dans la roche, dénommées « Majel », autrefois présentes dans chaque village, assurent une réserve précieuse pour les saisons arides.
Ces savoirs d’antan, loin d’être obsolètes, se marient aujourd’hui aux innovations : goutte-à-goutte, récupération des eaux pluviales, recyclage des eaux usées, autant de leviers pour une gestion plus efficiente. Car l’eau n’est pas seulement une ressource, elle est un patrimoine à préserver, un bien commun qui ne saurait être sacrifié aux logiques marchandes.
Assurer l’autonomie agricole de la Tunisie passe par une révolution de l’eau, où chaque goutte compte et où la sagesse d’hier éclaire les choix de demain.
Réconcilier l’homme et la terre.
L’autosuffisance ne s’impose pas, elle se construit, patiemment, geste après geste, récolte après récolte. Il ne s’agit pas d’un retour nostalgique à un passé idéalisé, mais d’une réconciliation entre tradition et modernité, entre l’intelligence du passé et les innovations du futur.
L’agroécologie, la permaculture, la valorisation des savoirs locaux offrent des pistes concrètes pour repenser notre rapport à la terre. Loin des monocultures destructrices, elles prônent un modèle où la diversité est une force, où la fertilité des sols est préservée, où les agriculteurs redeviennent les architectes de leur destin.
La Tunisie possède les ressources et le savoir-faire pour réussir cette transition. Mais il faut une volonté politique forte, une mobilisation collective, un changement de regard. Il faut comprendre que l’autosuffisance n’est pas une contrainte, mais une libération, une promesse d’avenir où chaque Tunisien pourrait se nourrir de la richesse de son propre terroir.
L’autosuffisance alimentaire en Tunisie n’est ni un mirage, ni un phantasme. C’est un appel à renouer avec la terre, à retrouver la sagesse des anciens sans renier les avancées du présent. C’est un engagement, un serment fait à la terre nourricière de ne plus l’épuiser, mais de la cultiver avec respect et intelligence.
Les jardins suspendus de Djebba El Olia, témoins silencieux du génie humain, rappellent une vérité immuable : la terre ne ment pas à ceux qui la comprennent. Elle se donne à ceux qui l’aiment, elle prospère entre les mains de ceux qui l’écoutent.
Que chaque graine semée soit une promesse, que chaque récolte soit une victoire, que chaque champ cultivé soit un poème écrit en lettres de lumière sur la peau du monde. L’autosuffisance n’est pas un repli, c’est une renaissance. Et c’est en redonnant à la terre sa voix que la Tunisie retrouvera la sienne.
La terre, qui a vu naître Magon, véritable encyclopédie vivante de l'agriculture, ne peut manquer de vibrer au rythme de cette révolution agricole.
L’eau, la vie : bâtir l’avenir hydrique de la Tunisie.
L’eau, la vie : bâtir l’avenir hydrique de la Tunisie.
Par
Jamel
BENJEMIA
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L’eau est bien plus qu’une ressource : elle est le souffle même de la vie. En Tunisie, pays au climat aride où les précipitations se font rares et inégales, la gestion de l’eau est devenue un défi stratégique. Or, face à l’accélération du changement climatique, à la pression démographique et à l’épuisement des nappes phréatiques, il est urgent de repenser notre modèle de gestion hydrique.
Actuellement, l’essentiel des besoins en eau potable repose sur des ressources souterraines surexploitées, menaçant ainsi leur durabilité. Pourtant, des alternatives existent : la désalinisation, le recyclage des eaux usées, la collecte des eaux de pluie ou encore l’innovation technologique à travers la condensation de l’humidité de l’air. À cela s’ajoutent des solutions d’efficacité, comme l’usage de toilettes économes ou la réutilisation des eaux domestiques pour des usages secondaires.
Longtemps, les barrages ont constitué l’épine dorsale de la gestion de l’eau en Tunisie. Mais aujourd’hui, ces infrastructures montrent leurs limites. L’envasement progressif, conséquence d’une érosion accélérée, réduit considérablement leur capacité de stockage. Selon les estimations, près d’un tiers de leur volume initial est désormais perdu. Une situation préoccupante qui met à mal l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation agricole.
Dans les zones rurales, où l’accès à l’eau repose souvent sur de petits ouvrages hydrauliques, la situation est encore plus alarmante. Le phénomène du « tamis » – l’accumulation de sédiments dans les réservoirs – entrave le captage des eaux de pluie et accentue la dépendance aux ressources souterraines, déjà surexploitées.
Face à ces défis, une approche exclusivement basée sur l’extension des barrages ne suffit plus. Il est impératif d’explorer d’autres leviers pour garantir la sécurité hydrique du pays.
Désalinisation : une nécessité incontournable
Face à la raréfaction des ressources en eau douce et à l’épuisement progressif des nappes phréatiques, la désalinisation apparaît aujourd’hui comme une solution incontournable pour garantir l’approvisionnement en eau potable en Tunisie. Avec un littoral de plus de 1 300 kilomètres, le pays dispose d’un accès privilégié à l’eau de mer, une ressource abondante mais encore sous-exploitée. Certes, la désalinisation représente un défi technologique et énergétique, mais les avancées récentes permettent d’envisager son développement à grande échelle tout en maîtrisant son coût environnemental et économique.
Dans cette optique, l’optimisation des techniques de dessalement devient un enjeu central. L’osmose inverse, technologie aujourd’hui dominante, permet de produire de l’eau potable avec une efficacité accrue, réduisant ainsi la consommation énergétique et l’impact sur les écosystèmes marins. Toutefois, son déploiement massif nécessite une intégration intelligente au sein du mix énergétique national.
Le mois dernier, l’Algérie a mis en service l’usine de dessalement Fouka 2 à Tipasa, une infrastructure capable de produire 300 000 mètres cubes d’eau potable par jour. Conçue pour s’étendre vers le large plutôt que sur les terres agricoles, elle illustre une solution pragmatique face à la raréfaction des ressources en eau.
À titre de comparaison, quatre unités de cette envergure suffiraient à couvrir les besoins en eau des 12 millions de Tunisiens, offrant ainsi une piste de réflexion pour renforcer la sécurité hydrique du pays.
Mais au-delà des aspects techniques, la désalinisation ne peut être une réponse efficace que si elle s’inscrit dans une stratégie globale de gestion de l’eau. Elle doit être accompagnée d’une modernisation des infrastructures de distribution pour limiter les pertes, qui représentent aujourd’hui un gaspillage considérable. De même, la tarification de l’eau issue du dessalement doit être pensée de manière équilibrée afin d’encourager une consommation raisonnée sans pour autant pénaliser les ménages les plus vulnérables.
Ainsi, loin d’être une solution isolée, la désalinisation doit s’intégrer dans une approche holistique de la gestion hydrique, en complément du recyclage des eaux usées et de l’optimisation des usages domestiques. C’est en combinant ces différentes solutions que la Tunisie pourra assurer son indépendance hydrique et répondre aux défis croissants posés par la sécheresse et le changement climatique.
Le recyclage et la réutilisation des eaux usées : un levier stratégique
En Tunisie, la majorité des eaux usées traitées est encore gaspillée, rejetée en mer ou dans l’environnement, au lieu d’être valorisée. Pourtant, dans des pays confrontés à un stress hydrique similaire, plus de 80 % des eaux usées sont recyclées et utilisées pour l’irrigation ou l’industrie, réduisant ainsi leur dépendance aux ressources conventionnelles.
En Tunisie, seules 5 % des eaux usées traitées sont effectivement réutilisées, un taux largement insuffisant au regard des défis hydriques du pays. L’optimisation de cette ressource représente donc une opportunité majeure pour garantir une gestion plus durable de l’eau. Pour y parvenir, plusieurs actions doivent être mises en place.
D’abord, il est essentiel de renforcer le maillage des stations d’épuration en augmentant leur capacité de traitement et en garantissant une meilleure qualité des eaux recyclées. En parallèle, des incitations fiscales pourraient encourager les secteurs agricole et industriel à privilégier ces eaux recyclées, réduisant ainsi la pression sur les ressources naturelles. Enfin, une généralisation de leur usage dans l’irrigation, l’arrosage des espaces verts ou encore le nettoyage urbain permettrait de structurer une véritable économie circulaire de l’eau, limitant le gaspillage et maximisant chaque litre disponible.
Mieux gérer la demande : une révolution des usages nécessaire
Au-delà de l’optimisation des ressources, une meilleure gestion de la consommation est essentielle. Actuellement, une grande partie de l’eau est gaspillée, que ce soit dans les foyers, l’agriculture ou l’industrie.
Dans le secteur domestique, la généralisation des équipements économes en eau – comme les toilettes à faible consommation ou les systèmes de récupération des eaux grises – doit être encouragée par des incitations financières. Des expériences menées à Singapour et en Espagne montrent que ces mesures peuvent réduire de 30 % la consommation des ménages.
L’agriculture, qui représente plus de 80 % de la consommation d’eau en Tunisie, doit également évoluer. L’irrigation par submersion, encore largement pratiquée, engendre des pertes colossales. Le développement de techniques plus efficientes, comme le goutte-à-goutte intelligent, pourrait considérablement améliorer le rendement hydrique. L’État doit jouer un rôle clé en soutenant ces transitions via des subventions et des formations (gestion de l’irrigation, techniques d’économie d’eau…).